Microbiote : contrer les effets de l’industrialisation pour améliorer la santé ?

Un nouvel article publié par la Société Française de Nutrition. 

Olivier Soulier évoquait déjà l’impact de notre mode de vie sur la diversité de nos microbes dans un article de 2020, paru dans la Lettre de la Médecine du Sens n°286 : voir l’article

L’ARTICLE :

Microbiote : contrer les effets de l’industrialisation pour améliorer la santé ?

Dans un essai randomisé contrôlé, un régime riche en fibres reflétant l’alimentation de l’ère pré-industrielle a permis de rétablir certaines fonctionnalités métaboliques perdues du microbiote intestinal, expliquant vraisemblablement les bénéfices cardiométaboliques observés chez les sujets.

Hygiène, antibiotiques, régimes appauvris en fibres… l’industrialisation de nos modes de vie a été lourde de conséquences pour le microbiote intestinal. Or les altérations ainsi subies par le microbiote pourraient en partie expliquer l’augmentation des maladies non transmissibles frappant les pays occidentalisés. Dans ce contexte, l’intérêt d’une restauration du microbiote vers un état « ancestral » pré-industriel fait l’objet de débats dans la communauté scientifique : est-ce seulement possible ? peut-on en attendre des bénéfices pour la santé, dans l’environnement industrialisé actuel ? Dans le cadre d’une collaboration internationale, des chercheurs ont exploré ces questions à travers un essai randomisé contrôlé mené chez 30 adultes canadiens publié dans Cell.

Etablir une stratégie de restauration du microbiote

Les chercheurs ont d’abord mis au point un régime riche en fibres reflétant les caractéristiques d’une alimentation pré-industrielle, à partir d’aliments communément consommés dans les tribus traditionnelles de Papouasie-Nouvelle Guinée : haricots en grain, patates douces, riz, pois, topinambours, etc. Les sujets devaient consommer ce régime, ou leur régime habituel, pendant 3 semaines ; puis les conditions étaient inversées après une période de wash out (étude en cross-over). Le régime pré-industriel conduisait à des apports en fibres doublés par rapport au régime habituel. En parallèle, les chercheurs ont voulu voir s’il était possible de rétablir la présence, dans le microbiote des sujets, d’une espèce bactérienne caractéristique et dominante dans le microbiote des sujets de pays non industrialisés (ex. Papouasie-Nouvelle Guinée ) mais rarement retrouvée dans les microbiotes de sujets vivant dans des pays industrialisés : la souche Limosilactobacillus reuteri PB-W1. Celle-ci a donc été administrée oralement à certains sujets à la dose de 10 milliards de cellules au début de chaque phase du régime (régime préindustriel ou régime habituel).

Composition, diversité, stabilité… quels effets sur le microbiote ?

Si le régime « pré-industriel » permettait d’augmenter l’abondance de L. reuteri PB-W1 dans les jours suivant l’administration, l’implantation n’était que transitoire car la bactérie devenait rapidement indétectable (sauf chez un sujet). Autrement dit, le régime pré-industriel ne permettait pas l’installation durable de L. reuteri dans le microbiote. En revanche, ce régime induisait des modifications dans les communautés bactériennes présentes, avec une augmentation globale d’espèces généralement associées à la santé (des genres Bifidobacterium, Faecalibacterium, etc.) et une diminution d’espèces pro-inflammatoires telles que Bilophila wadsworthia. Toutefois, derrière ces tendances générales, des différences inter-individuelles notables étaient observées : par exemple, les changements de l’abondance relative de Bifidobacterium induits par le régime variaient de -12 % à + 760 % par rapport au début de l’étude, selon les sujets.

Le régime « pré-industriel » entraînait également une réduction de la diversité du microbiote, un résultat qui a surpris les chercheurs mais qui pourrait s’expliquer par la disparition d’espèces peu adaptées aux nouvelles conditions écologiques générées par le régime « préindustriel » (pH faible, fortes teneurs en acides gras à chaîne courte…). En dépit de la perte de diversité, le régime préindustriel conduisait à une augmentation de la stabilité du microbiote et à une augmentation des interactions entres espèces, deux paramètres généralement considérés comme des marqueurs d’un microbiote en bonne santé.

Le rétablissement de propriétés métaboliques essentielles du microbiote

Surtout, des propriétés métaboliques du microbiote classiquement affectées par le mode de vie industrialisé et associées aux maladies non transmissibles étaient rétablies par le régime pré industriel : capacité de fermentation et production d’acides gras à chaîne courte augmentées ; potentiel de dégradation du mucus intestinal réduit….

Or ces effets du régime sur les fonctionnalités du microbiote étaient associés aux nombreux bénéfices cardiométaboliques observés chez les sujets tels que la perte de poids (alors que la ration était calculée pour couvrir les besoins énergétiques des sujets : la perte de poids pourrait alors être liée à la biodisponibilité réduite des macronutriments dans le régime riche en fibres), ainsi qu’une réduction du cholestérol LDL, de la glycémie à jeun, et d’un marqueur inflammatoire (protéine C réactive ou CRP). Des modélisations prenant comme donnée d’entrée les modifications induites dans la composition du microbiote et de ses fonctionnalités sous l’effet du régime permettait de prédire efficacement les effets cardiométaboliques obtenus.

Les redondances fonctionnelles, garantes des bénéfices des régimes végétaux

Ces résultats suggèrent que les bénéfices santé obtenus sous l’effet du régime résultent en grande partie des effets du régime sur le microbiote. Mais comment expliquer alors des effets cardiométaboliques relativement constants et cohérents pour l’ensemble des individus de l’essai, malgré les différences de réponses individuelles marquées en termes de composition du microbiote ? Les chercheurs avancent l’hypothèse des redondances fonctionnelles entre les différentes espèces microbiennes, (i.e. plusieurs espèces peuvent déployer les voies métaboliques conduisant aux effets santé obtenus). Un mécanisme essentiel pour expliquer les bénéfices « universels » des régimes riches en végétaux et le bienfondé de recommandations alimentaires en ce sens, sans besoin de personnalisation malgré des microbiotes variés des individus.

Lire l’article sur le site de la SFN

Source : Li F, Armet AM, Korpela K, Liu J, Quevedo RM, Asnicar F, Seethaler B, Rusnak TBS, Cole JL, Zhang Z, Zhao S, Wang X, Gagnon A, Deehan EC, Mota JF, Bakal JA, Greiner R, Knights D, Segata N, Bischoff SC, Mereu L, Haqq AM, Field CJ, Li L, Prado CM, Walter J. Cardiometabolic benefits of a non-industrialized-type diet are linked to gut microbiome modulation. Cell. 2025 Jan 20:S0092-8674(24)01477-6. doi: 10.1016/j.cell.2024.12.034.

Lire l’article original

Article paru dans la Lettre de la Médecine du Sens n° 357

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3 réponses
  1. Bernard
    Bernard dit :

    Il est étrange que vous ne parlez pas des ravages avérés du gluten sur le microbiote et sur la santé en général. J’ai 81 ans, en pleine forme et je peux vous certifier que mon épouse et moi-même avons clairement ressenti l’abandon du Gluten, il ya de cela 12 ans, comme un effet spectaculaire de rajeunissement et de bien-être. Depuis : aucune maladie, pas de rhumatismes ou d’arthrose, une défense immunitaire au top grâce, je pense, à l’excellente condition de notre intestin. Je sais que pour nous, qui étions gourmands, renoncer à la patisserie, pizzas, au pain croustillant et autres gourmandises similaires, cela a été une épreuve majeure qui a nécessité une grande volonté de notre part. Mais au bout de 6 mois nous nous sentions si étonnamment bien que jamais nous ferons machine arrière. En fait je pense qu’il ya un un « cover-up » général sur les méfaits du Gluten du fait des lobbies car les enjeux économiques sont monstrueux.

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    • Anne Sens et Symboles
      Anne Sens et Symboles dit :

      Bonjour Bernard,
      Merci de votre partage. L’article vient de la Société Française de Nutrition. Effectivement, la traduction qu’ils en font ne mentionne pas le gluten. Toutefois l’article original (auquel vous pouvez accéder) mentionne la mise en place d’un régime « ancestral » : « The diet shared key characteristics with non-industrialized dietary patterns that likely mimic ancestral diets44: primarily plant-based, devoid of dairy and wheat« , donc sans gluten.
      Olivier Soulier a écrit à plusieurs reprises sur les bienfaits du sans-gluten, notamment sur l’inflammation, la dépression, la fibromyalgie, etc.
      Grand chapitre également du « Sens des désirs alimentaires ».
      Pourquoi pas une thématique gluten dans la prochaine lettre !
      Bien à vous
      Anne

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