3ème partie – De la médecine du corps à la médecine de l’âme par le Dr Philippe Dransart

L’ARTICLE :

« De la médecine du corps à la médecine de l’âme », 3ème partie

par le Dr Philippe Dransart

Retrouvez la 1ère partie ici

et la 2ème partie ici

… (Notez-le, j’ai dit « de l’âme », et non pas « par l’âme »… : qu’il me soit permis ici de rappeler cette évidence : si votre corps est malade, il vous faut consulter un médecin et suivre ses conseils… Ce que j’appelle « âme » est cette part de conscience qui peut nous éclairer, mais ce n’est pas elle qui va nous soigner ! Soyons clairs là-dessus ! Laissez vos médecins s’occuper de votre corps, c’est leur compétence et leur responsabilité.)

 

SOPHIE… ou la rencontre avec nos vieux fantômes

 

A propos de résonance, j’aimerais vous parler de Sophie, une femme de 47 ans venue me consulter pour que je l’accompagne dans sa chimiothérapie pour un cancer de l’ovaire.

Sophie était stérile, et à 26 ans son premier mari l’avait quittée pour cette raison. Quelque temps après, elle avait rencontré Marc, un homme de son âge, père d’un petit Julien qui avait trois ans. Tous deux, père et fils, venaient d’être abandonnés par celle que je vais appeler « la mère biologique » de Julien, vous allez comprendre pourquoi je l’appelle ainsi. Cette femme les avait quittés pour un bel argentin, qu’elle avait suivi chez lui à l’autre bout du monde, dans la pampa argentine. La distance aidant, très rapidement elle avait cessé de donner de ses nouvelles, comme si elle avait complètement tourné la page sur sa « vie d’avant ». Sophie est donc venue combler un manque auprès de Marc et de Julien, et comme la mère biologique ne donnait plus signe de vie, Sophie s’était investie comme une mère auprès du jeune garçon.

Cette vie de responsabilités mais aussi de bonheur pour Sophie a duré 11 ans, jusqu’à ce que la mère biologique se manifeste. Son bel argentin l’avait quittée, et en redescendant de son nuage, elle s’était souvenue qu’elle avait un fils quelque part en France. Prise de remords, elle avait voulu renouer contact, mais pas n’importe comment ! Marc n’ayant pas quitté leur maison, de retour en France, cette femme a eu l’idée de se rapprocher de lui en louant un logement à 500 mètres de là… un logement qui de surcroît se trouvait sur le chemin de retour du collège de Julien. Très rapidement, elle a repris contact avec son fils, qu’elle voyait régulièrement à la sortie de ses cours. Comme vous pouvez l’imaginer, Sophie était très contrariée de cette situation, et ce d’autant que Marc semblait tarder à prendre position dans cette affaire.

 

Cerise sur le gâteau, un soir, alors que Sophie rentrait de son travail, elle avait découvert avec surprise Marc et son ex-femme en train de prendre l’apéritif “en bons amis” dans le salon, discutant de la scolarité et de l’avenir de Julien, sans qu’elle en ait été informée… Folle de rage, Sophie s’était sentie exclue de cette discussion qui pourtant la concernait en premier lieu, au regard de l’énergie, de l’amour et du temps qu’elle avait consacré à Julien pendant toutes ces années. Submergée par le sentiment fugace mais intense de n’avoir été qu’une “roue de secours” dans sa relation avec Marc, elle s’était tournée vers ce dernier pour lui lancer :  « Tu peux m’expliquer ? » Celui-ci, quelque peu gêné, s’était alors levé en prétextant quelque chose à faire à la cuisine ! Selon l’adage « courage fuyons », il fit comme si ce n’était pas son problème, pour laisser les deux femmes s’expliquer entre elles. L’explication fut courte mais violente. Arguant de la réalité biologique, la “belle argentine”, si j’ose dire, mit les choses au point : « Faites ce que vous voulez avec Marc, mais pour Julien, vous n’avez pas votre mot à dire, sa mère c’est moi !« . Bingo ! Le souffle coupé, Sophie alla se réfugier dans sa chambre en pleurant…

Quelques mois après, on lui découvrit un cancer très agressif de l’ovaire.

 

En cherchant à se défendre, l’ex-femme de Marc avait spontanément invoqué la réalité biologique sans se douter de la profondeur de la blessure que cette parole infligeait à Sophie, elle qui n’avait pas pu avoir d’enfant, ce qui avait causé l’échec de son premier mariage. Or, à votre avis, l’ovaire ça sert à quoi ? À avoir des enfants, bien sûr. Notre corps est un miroir : lorsque nous sommes touchés dans l’image que nous avons de nous, ce corps est comme un écran qui nous révèle l’étendue de notre blessure intérieure.

 

Notez ici que ce qui nous rend physiquement malade, ce n’est pas la situation elle-même, c’est la manière dont nous la percevons. Cette perception va se faire à travers notre histoire, avec le souvenir de ce que nous avons vécu, de nos désirs et de nos peurs. et plus généralement à travers l’image que nous avons de nous, autrement dit, ce que nous croyons être. Pourtant, quelque chose en nous sait que nous ne sommes pas cela, nous ne sommes pas cette image ni ce personnage auquel nous nous sommes identifiés. Pour nous représenter cette situation, je vous propose d’imaginer une paire de lunettes, dont un des deux verres a subi un choc qui déforme tout ce qui est vu à travers ce choc. Par bonheur, nous avons deux yeux, deux verres, ce qui nous permet de corriger presque automatiquement notre perception de la réalité qui nous entoure. Ce choc sur un des deux verres, c’est une blessure du passé. De sorte que lorsque la réalité est vue à travers cette blessure, un de nos yeux ne voit plus que cela, tandis que l’autre peut le voir sous un autre angle. Imaginez maintenant qu’une part de notre conscience, réveillée dans sa douleur passée, se focalise sur sa douloureuse perception de la réalité présente. Elle finit par ne plus voir que cela, sans se rendre compte que ce qui la submerge, ce n’est pas la réalité en elle-même, ce sont ses “vieux fantômes” ! Pour peu que ces douleurs anciennes ne soient pas résolues, elles se réveillent intactes et elles envahissent toute la conscience !

 

Toute, ou presque… car “cet oeil qui voit clair” existe bel et bien en nous, quelque part, comme une forme de conscience plus lucide, plus profonde, qui voit et comprend ce qui se passe. Hélas, elle fait moins de bruit, mais du coup elle a toutes les peines du monde à se faire entendre ! “Toc, toc, toc”, nous venons de parler de cette conscience intime qui, telle notre âme, vient frapper à la porte. Quand notre âme – je parle ici de cette part de nous qui nous anime – en a assez de voir ce verre de lunettes pourrir notre vision, vient un moment où elle ne peut que réagir. Face à une ombre qui s’est autrefois créée dans notre existence, pour ensuite rester cachée dans les replis de notre mémoire comme une douloureuse question non résolue, notre âme ne peut pas se satisfaire de ce “statu quo”, et tout semble alors se passer comme si elle engendrait dans notre existence un événement qui nous repose cette même question. Comme pour nous dire : « A propos, qu’est-ce que tu penses de cela ? ».

 

“Qu’est-ce que tu penses de cela?”, c’est la question posée par le stress. Une personne généreuse et optimiste qui s’est toujours sortie des situations délicates ne se formalisera pas outre mesure de son découvert bancaire, là où une personne plus frileuse et pessimiste se verra au bord de la ruine… A revenu égal et pour un même montant, la quantité de stress sera la même, mais pour l’une et l’autre l’impact sera complètement différent ! Le stress vient toucher un point sensible de notre personnalité : si Sophie n’avait pas autrefois souffert de sa stérilité, elle aurait vertement remise à sa place la mère biologique en lui demandant ce qu’elle avait fait pour Julien pendant ces longues années ! Mais là, touchée en un point sensible, elle s’est repliée sur sa douleur sans pouvoir y répondre… Pouvait-elle faire autrement ?

 

“A quoi lui sert son âme dans tout cela ?” me demanderez vous. Ici, c’est votre coeur qui parle et qui pose la question, et c’est tout à fait naturel : comment pourrait-il en être autrement face à une situation aussi injuste, avec, d’un côté, la lâcheté de son mari, et de l’autre la parole assassine de sa “rivale” ? Pourtant, Sophie était une femme intelligente et courageuse, et elle n’avait pas tardé à faire le lien entre sa douleur morale et le déclenchement de son cancer. Affrontant cette “double peine”, elle avait décidé de faire un travail sur elle-même.

 

Un jour, je l’ai vue arriver en consultation, une enveloppe encore fermée à la main. Elle a commencé par me dire que le déclenchement de sa maladie avait “réveillé” Marc, lequel, bien que prenant soin de ne pas complètement se fâcher avec son ex, s’était montré beaucoup plus attentif en l’accompagnant dans sa chimiothérapie. Sa position n’était pas encore bien claire, mais au moins il répondait présent, c’était déjà ça… L’enveloppe, c’était celle du laboratoire, que Sophie venait de poser sur la table en me disant : « Ouvrez-la, je préfère que ce soit vous, mais je suis confiante dans les résultats : j’ai beaucoup réfléchi, j’ai médité, j’ai prié, et j’ai décidé de pardonner cette femme pour le mal qu’elle m’a fait« . Elle avait l’air relativement sereine, si ce n’est sa peur de découvrir elle-même les résultats d’analyse. J’ai donc ouvert l’enveloppe : patatras, en à peine un mois ses marqueurs du cancer avaient doublé ! Elle était catastrophée, tout en me disant qu’elle était pourtant sûre d’avoir fait la paix ! Je lui ai dit : « De deux choses l’une, soit les marqueurs réagissent à retardement, soit quelque chose ne va pas dans ce que vous me dites. Vous me dites lui avoir pardonné, mais en pratique, comment avez-vous fait ? » Sophie ne comprenait pas ma question, et j’ai alors insisté : « Est-ce que vous avez revu cette femme, est-ce que vous lui avez parlé ? » Et là, d’une manière complètement inattendue, Sophie a sursauté, elle s’est mise dans une violente colère en s’exclamant : « La revoir ? Ça, jamais ! » C’était le cri du coeur, un coeur dont la blessure était restée vive, mais son mental avait joué à cache cache avec cette douleur, au point qu’elle pensait en être guérie ! La capacité du mental à nous induire en erreur à propos de ce que nous ressentons est telle que même si vous vous sentez bien, même si vous vous sentez guéri, soyez prudent et suivez les traitements que l’on vous propose. L’autre morale de cette histoire, c’est qu’il nous est difficile de pardonner la personne qui nous a blessée sans d’abord – ou tout au moins en même temps – se pardonner soi-même d’avoir mal !

 

Quelque temps après j’ai revu Sophie, et je lui ai dit : »En repensant à vous, une image m’est venue à l’esprit : je me suis dit que, cette femme et vous, vous étiez comme les deux faces d’une pièce de monnaie qui se rejoignent sur la même douleur, mais par la face opposée : 

Votre douleur, c’est d’avoir eu le coeur mais la biologie vous a manquée…

Sa douleur, c’est d’avoir eu la biologie mais d’avoir manqué de coeur… C’est d’ailleurs pour réparer cela qu’elle est revenue.

Autrement dit, vous vous êtes retrouvées en opposition sur une même souffrance, mais chacune avec la solution pour l’autre !

 

Cette image d’une pièce à deux faces qui vivent chacune un aspect de la situation a éclairé Sophie, qui a alors pris la mesure de cette souffrance partagée par l’autre femme. au point d’engendrer en elle un élan de compassion qui lui a permis d’aller à sa rencontre. Ces deux femmes se sont alors parlé, elles se sont comprises, et finalement leur haine s’est transformée en affection réciproque ! La mère biologique a respecté la place de Sophie auprès de Julien, et en contrepartie Sophie lui a permis de revoir son fils autant que fois qu’elle le souhaitait… Coïncidence ou pas, je vous en laisse juges, mais les analyses suivantes se sont nettement améliorées, au point que l’oncologue a dit à Sophie, « Le traitement a tardé à faire effet, mais là, ça a l’air de beaucoup mieux marcher, comme si la chimio agissait à retardement ». Cette histoire date de plus de 20 ans et Sophie est toujours en vie aujourd’hui.

 

Le lien entre le stress et le déclenchement de la maladie était évident pour Sophie, mais c’est loin d’être toujours le cas. Pour comprendre ce que la maladie cherche à nous dire, nous avons le choix entre deux approches, celle par le mental et celle par le coeur. Le mental, je ne vous fais pas un dessin : on s’en sert tous les jours, et parfois même un peu trop. La compréhension par le coeur est plus intime, plus intuitive et plus juste, elle est si j’ose dire plus proche de l’âme. Objectivement, nous avons souvent besoin des deux, comme nous avons besoin de nos deux cerveaux, de combiner la logique de notre cerveau gauche et des analogies intuitives de notre cerveau droit. Notre mental est un instrument merveilleux et très performant, mais le problème, c’est de trouver le juste équilibre : ce serait une folie de tout confier à notre mental sans écouter notre coeur, à l’image de la folie actuelle de vouloir tout confier à l’intelligence artificielle, comme si on la voyait intelligente sans voir qu’elle est artificielle !… Pour le dire autrement, la différence entre l’intelligence du mental et celle du coeur, c’est que l’intelligence du coeur ne va pas résoudre les problèmes, elle va les éclaireret ça change tout !

 

Les éclairer, bien, mais comment faire la paix dans certaines situations ?

Ginette et Sophie ont eu la chance de pouvoir faire la paix avec la personne qui leur posait problème, mais pour faire la paix, encore faut-il être deux à en avoir l’intention ! Certaines personnes n’ont pas du tout envie de faire la paix : elles maintiennent le conflit, soit parce que ça arrange leur intérêt personnel, financier ou autre, soit parce que ce conflit nourrit leur Ego. Nous vivons alors leur attitude comme une profonde injustice, et cela nous met au défi de faire la paix avec notre douleur, et finalement avec nous-mêmes. Ce serait tellement plus facile dans un monde de bisounours… Hélas, même en nous voilant la face, il est difficile de ne pas voir que l’injustice est une réalité omniprésente !

Nous pouvons cependant la voir sous deux aspects :

Il y a l’injustice que nous subissons parce qu’elle est inhérente à un comportement humain dont nous sommes victimes, comportement qui a toujours été partagé entre l’élan de solidarité et le chacun pour soi… un chacun pour soi qui ne fait qu’engendrer de l’incompréhension et de la souffrance. Ce qui est vrai à l’échelle individuelle l’est aussi à l’échelle collective, et face à ces guerres et cette barbarie qui ne devraient plus avoir leur place dans notre humanité et qui pourtant sont là, nous prenons conscience que le chacun pour soi n’est pas viable ! Il ne l’est pas parce qu’il ne peut se maintenir que dans le déni de la souffrance infligée autour de soi.

Et puis… il y a l’injustice vécue comme une expérience de l’âme. Shakespeare disait : « En toute situation mauvaise, il y a la quintessence d’un bien« . Mais pour que ce bien advienne, il nous faut d’abord avoir le courage d’accepter les choses comme elles sont avant de pouvoir les transformer. Le courage de retourner la pièce, afin que son autre face puisse nous être révélée. Tant que nous nous attachons à une certaine vision des choses, aussi vrai que soit cette vision, elle nous empêche de mener l’expérience à son terme. Tant que Sophie s’attachait à sa douleur, il lui était difficile de découvrir combien la douleur de la mère biologique résonnait en miroir… Si nous regardons la réalité comme un miroir, il nous sera plus facile d’en découvrir les deux faces. Patanjali, un sage de l’Inde ancienne,  disait que « Les choses ne sont là que pour être vues ». Sous entendu : “vues dans leur totalité”. Une fois qu’elles sont vues, elles n’ont plus de raison d’être, et nous pouvons alors nous en libérer et tourner la page. Mais pour voir les choses comme elles sont, il faut les voir en profondeur, et c’est ce changement de regard qui peut nous libérer, ou à défaut nous apaiser. Le but, encore une fois, n’est pas la guérison du corps, mais c’est la guérison du coeur… Pour guérir le coeur, il faut voir les choses en profondeur, et cette guérison là passe par un changement de regard sur ce qui nous fait mal.

 

La 4ème partie de l’article du Dr Dransart dans la prochaine lettre !

 

Retrouvez tous les mois les causeries du Dr Philippe Dransart : https://philippe-dransart.com/causeries/

Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 359

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