VOUS AVEZ DIT JUMEAU ? – Journal Réel n°117

Le jumeau perdu est une des nouvelles mythologies de la psychothérapie alternative. Il nous faut pourtant nous interroger car les données objectives de fréquence de jumeau perdu ne suivent pas le nombre de cas trouvés en thérapie. Le jumeau serait donc subjectif, pour ainsi dire essentiel !

Je sors de chez mon thérapeute et ça y est j’ai tout compris, enfin ! J’ai eu un jumeau, que j’ai perdu pendant la grossesse, maintenant tout s’éclaire ! Mode ou réalité ? Ce jumeau que vous auriez perdu est parfois présent comme la panacée. Le fait est que beaucoup s’y retrouvent, du moins un temps et jusqu’à un certain point.

Les faits objectifs
Pourtant la plupart de ces “jumeaux “ n’ont pas de preuve clinique. Dans les années 80 on interprétait très fréquemment certains aspects d’échographie comme un « Jumeaux évanescents » ou « Vaneshing twin », c’est de là qu’est partie l’idée de ce jumeau perdu très fréquent. Avec le perfectionnement des techniques échographiques, la réalité est toute différente. Le mythe persiste. Statistiquement, il naît entre 0,65% (en Asie) et 2,2% (en Afrique) de jumeaux, en moyenne 1% en Europe. Si nous prenons les chiffres les plus larges, il y aurait 30 à 50% de décès dans les grossesses gémellaires (de un ou deux des embryons). Soit sur la totalité des naissances 1% de jumeaux et au maximum moins de 1% des enfants qui auraient perdu un jumeau. Le seul fait objectif c’est qu’il y a deux fois plus de jumeaux après 40 ans qu’à 20 ans et que les traitements des stérilités en sont grands pourvoyeurs.

Les ressentis 
Les spécialistes du syndrome du jumeau perdu vont jusqu’à 10%. Certains parlent même de jumeaux presque systématiquement. Beaucoup de signes sont interprétés dans le sens de jumeaux perdus. De petits saignements de début de grossesse souvent liés à des décollements placentaires, ou à des persistances de règles en début de grossesse. Le kyste dermoïde est d’une nature totalement différente, mais, de toute façon trop rare pour expliquer la fréquence. Tous ces éléments peuvent laisser des empreintes.

Le traumatisme d’un jumeau objectivement perdu est parfois flagrant et terrible, mais aussi souvent caché, et a besoin d’être reconnu. Ce travail est essentiel. Inversement, il n’est pas rare de voir des personnes ayant perdu un jumeau de façon prouvée par l’échographie et n’en avoir aucune séquelle. Bien sûr nous pouvons évoquer le déni, mais cela interroge.

La solution n’est donc pas dans l’objectivité des faits. 
Il y a décalage entre le fait objectif et l’écho que rencontre le syndrome du jumeau perdu. Essayons de comprendre ce qui peut résonner chez tant de personnes. Quelle est donc cette part de nous qui nous manque et dont l’évocation trouve résonance en chacun de nous, et dont le travail peut nous aider réellement dans notre chemin personnel.

Nous avons tous perdu quelque chose.
Ce qui est certain, c’est que nous avons tous “perdu”, ou laissé le placenta à la naissance. Lieu des échanges avec la mère, fournisseur d’amour-oxygène, grand témoin de notre commencement. Ce placenta, notre premier compagnon, nous l’avons tous abandonné, sans nous retourner, qui plus est dans une situation d’épreuve particulièrement forte. Tout ce qu’il faut pour ancrer des mémoires profondes.
N’est-ce pas ce fait, lui objectif, qui pourrait être à l’origine du mythe d’Orphée aux enfers qui ne peut aller y récupérer sa belle Eurydice, « moitié » perdue, qu’à la condition de ne pas se retourner. Belle question ? N’est-ce pas lui le jumeau ? Beaucoup de traditions font un rituel avec le placenta. D’une façon générale, nous avons tous dû abandonner beaucoup de choses pour arriver à l’age adulte. Combien de parts, de choix ou d’espérances ? Choisir, grandir c’est renoncer. C’est peut-être là une piste à cet écho du jumeau.

Perdre pour avancer.
La vie a de tous temps utilisé la perte pour avancer. Une seule planète féconde dans tout notre système solaire, cinq extinctions d’espèces depuis le début de notre terre, et 99% d’espèces disparues, pour que les humains puissent naître.
Revenons à la grossesse : dès le début de notre vie, la part de perte pour la croissance est évidente, 3 millions d’ovules pour ne donner que moins de 500 ovulations. 500 000 spermatozoïdes par éjaculation. Et combien d’enfants. Quel sacrifice, quelle part immense de soi laissée en arrière, nécessité de la vie pour avancer. Comme si la vie avait besoin, avant de commencer, d’avoir déjà renoncé à une partie majeure d’elle-même, comme si cela faisait partie intimement du processus de vie. Perdre pour avancer. La vie nous donne ici un bel enseignement philosophique. Chaque abondance est une promesse de nombreux possibles, mais pour qu’un vive, les autres doivent disparaître. Nous existons aussi par ce que nous avons perdu. Goethe dirait  » la nature a inventé la mort pour avoir beaucoup de vie ».

Echo et Nostalgie.
Et le mythe du Narcisse de Pausanias tourmenté par la mort de sa sœur jumelle, et qui se mire dans l’eau refusant l’amour de la nymphe « Echo ». Les neurosciences parlent de « nostalgie » dans l’empreinte de naissance. Mémoire du paradis perdu des possibles, de ce que nous aurions pu être. Pour les animaux, la nostalgie, c’est la mémoire du lieu de naissance, ses montagnes pour un ours. Pour les humains, c’est la mémoire d’un état émotionnel.

Aux temps difficiles.
Plus la grossesse a été difficile, plus il nous semble que quelque chose nous manque, qu’un témoin pourrait nous aider, ce pourrait être le jumeau. Celui qui nous dirait « non tu n’as pas rêvé, ton ressenti est juste ».
Plus le cours de notre histoire a été émaillé de difficultés, de souffrances et de traumatismes, plus les parts perdues nous semblent importantes, plus ce symbole du jumeau devient indispensable. Témoin ou projection ? De conséquence il devient cause. Quand notre histoire prend un aspect d’amputation inutile ou impossible à vivre, alors ce besoin devient vital. Le jumeau serait la charge de la cavalerie légère venant nous sauver de notre aliénation.

Le Jumeau Thérapeutique.
Le jumeau comme un formidable moyen de thérapie, un lieu de transfert sur lequel vous allez pouvoir imaginer tout ce que vous avez perdu, projeter et investir ce que vous avez besoin de vous réapproprier. Faut-il remplacer un secret par une invention ? Autant le faire consciemment ! Quand vous avez perdu quelque chose, le jumeau peut être la forme la plus efficace pour projeter ce sentiment de perte et le guérir. Et là peut commencer un formidable jeu de rôle thérapeutique. Un pont entre le réel et la réalité.
Et vous, votre jumeau, comment serait-il ? Comment l’imaginez-vous ? quelles sont ses qualités, ses expériences, ses difficultés etc ? Nous verrions alors se dessiner tant de part de nous-même projetées en dehors, par difficulté de les vivre en dedans là où elles sont. Le jumeau est un peu le gardien de ce paradis. Celui que nous devons quitter pour entrer dans l’expérience de la vie, perdre pour vivre notre manque et le solutionner dans la création.

Reste une question importante, pourquoi la nature fait des jumeaux ? A quoi cela sert-il ? Les réponses sont passionnantes, et plus larges qu’il n’y paraît. Cela fera sûrement l’objet d’une autre chronique.

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