Pronostic du cancer du sein : un rôle pour le jeûne?
Commentaire. Le jeûne améliore le pronostic du cancer du sein.
La médecine commence à considérer que le jeûne peut être positif dans le pronostic du cancer. Particulièrement dans une étude sur le cancer du sein. Le jeûne n’est pas ici considéré comme une période de 5 , 10 jour ou plus, mais comme la durée pendant laquelle vous ne prenez pas de repas entre le soir et le matin. Si cette durée dépasse 13 heures cela diminue de 36% le nombre de récidives.
Il serait intéressant d’étudier cela dans des durées beaucoup plus longues, mais c’est déjà un bon début.
A suivre.
L’ARTICLE :
Le cancer du sein est la cause la plus fréquente de décès par cancer chez les femmes dans les pays en voie de développement et la seconde cause de mortalité spécifique dans les pays développés. De façon récente, il a été suggéré que l’horaire des prises alimentaires et des périodes de jeûne, à coté de leur nature ou de leur quantité, pouvait intervenir sur le métabolisme et la cancérogénèse. Expérimentalement, chez la souris, il a été démontré qu’un jeûne prolongé de 16 heures, couvrant la phase de sommeil, pendant une longue durée, avait un effet protecteur sur les anomalies du métabolisme glucidique, l’inflammation, une prise de poids excessive, qui sont autant de facteurs associés à un pronostic réservé en matière de cancer. Chez l’homme, les données épidémiologiques sont plus rares mais un travail de l’US National Health and Nutrition Survey suggérerait qu’un régime alimentaire incluant des périodes de jeûne améliorerait les facteurs de risque néoplasiques.
Etude sur plus de 2 400 femmes
L’étude Women’s Healthy and Living (WHEL) a porté sur l’effet de l’alimentation sur la récidive et la mortalité par cancer du sein mais offert également l’opportunité d’analyser l’influence de la durée du jeûne nocturne. Il s’agit d’un essai randomisé multicentrique, conduit entre le 1er Mai 1995 et le 3 Mai 2004, auprès de 3 088 femmes chez lesquelles avait été diagnostiqué peu de temps auparavant un cancer du sein invasif à un stade précoce. Le but premier de WHEL était de préciser si un apport alimentaire riche en légumes, fruits et fibres pouvait réduire le risque de récidive. Cet objectif n’a pas été atteint. Mais une étude complémentaire de cohorte a été possible, grâce à un recueil précis et répété des prises alimentaires et de leurs horaires tout au long du nycthémère. Ce recueil avait été effectué par autoquestionnaire, sur une période de 3 semaines, en séparant jours de semaine et weekend, à l’entrée dans l’étude, puis à la 1ère et 4ème année. Au total 25 325 questionnaires alimentaires, émanant de 2413 participantes, non diabétiques ont pu être réunis. La durée de jeûne nocturne sur 24 heures était par définition la période entre la première et la dernière prise alimentaire par jour. L’autoquestionnaire a permis aussi de préciser les ingesta journaliers globaux (en kcal), le nombre d’épisodes de prise de nutriments de plus de 25 kcal sur les 24 heures ou en période nocturne, après 20 heures. Différents autres facteurs liés au cancer (stade, grade, récepteurs hormonaux …) ont été pris en compte ainsi que les données anthropométriques et démographiques, durée globale de sommeil, degré d’activité physique, taux d’hémoglobine glyquée (HBA1c) et de C Réactive Protéine (CRP). Le suivi est de 7,3 ans en moyenne, à la recherche de récidives, soit sous forme locale, régionale ou métastatique, soit sous la forme d’un nouveau cancer invasif. La mortalité globale et spécifique a aussi été appréciée, sur une période totale de surveillance de 11,4 ans. L’analyse de l’ensemble des données s’est faite entre Mai et Octobre 2015.
La cohorte d’étude inclut 2 413 femmes avec cancer du sein à un stade débutant, non diabétiques. L’âge moyen (DS) est de 52,4 (8,9) ans ; l’indice de masse corporel (IMC) initial de 27,0 (5,9) kg/m2 ; 85,5 % sont blanches et 55,3 % ont un niveau d’instruction universitaire.
Risque de récidive accru de 36 % quand la durée de l’arrêt de l’alimentation nocturne est de moins de 13 heures
La durée moyenne du jeûne nocturne est de 12,5 (1,7) heures ; le nombre d’épisodes de prises alimentaires en moyenne de 4,4 (1,2) par jour ; 32,7 % ont une ou plusieurs prises alimentaires après 20 heures dépassant 25 kcal. Un jeûne nocturne court, de moins de 13 heures par nuit est significativement associé à un niveau d’éducation universitaire, à un moindre IMC, à une durée plus courte de sommeil, à une prise énergétique globale plus forte, à de plus nombreux épisodes de prises alimentaires sur le nycthémère et après 20 heures. L’utilisation de plusieurs modèles de régression montre qu’un jeûne nocturne court, inférieur à 13 heures par nuit, est significativement associé à une hausse de 36 % du risque de récidive de cancer du sein (Hazard Ratio, HR, à 1,36 pour un intervalle de confiance à 95 % (IC) compris entre 1,05 et 1,76). Il n’apparaît pas de relation avec la mortalité spécifique (HR : 1,21 ; IC : 0,91- 1,60), ni avec la mortalité globale (HR : 1,22 ; IC : 0,95- 1,56). Chaque augmentation de 2 heures de la durée du jeûne nocturne s’accompagne d’une baisse significative du taux d’HBA1c (β = -0,37 ; IC : -0,72 à – 0 01) et d’une plus longue durée globale de sommeil (β =0,20 ; IC : 0,14- 0,26). A l’inverse, les prises alimentaires après 20 heures sont liées significativement à un IMC plus élevé et à une hausse de la CRP.
Il ressort donc de l’analyse de cette importante cohorte prospective de femmes ayant fait l’objet d’un diagnostic de cancer du sein invasif à un stade précoce qu’une durée de jeûne nocturne inférieur à 13 heures par nuit est associée à une hausse de 36 % du risque de récidive de néoplasie mammaire, sans modification toutefois de la mortalité spécifique ou globale. Ces résultats rejoignent ceux d’études expérimentales antérieures. Chez des rongeurs, en effet, la restriction calorique, soit continue, soit intermittente est un moyen efficace de réduire les facteurs de risque et le taux de cancer ; un travail, chez la souris ayant constaté une moindre progression tumorale chez les animaux contraints à un temps alimentaire réduit vs ceux avec alimentation à volonté durant le jour. Tant expérimentalement qu’en clinique humaine, les régimes à base de jeûnes intermittents sont associés à des modifications bénéfiques du métabolisme glucidique et du syndrome inflammatoire.
Une méthode à recommander ?
La force de ce travail réside dans la qualité du recueil des données alimentaires sur les 24 heures, lors de 3 périodes distinctes et à l’aide de multiples procédés visant à réduire la variabilité individuelle des réponses. A l’inverse, ce recueil, par auto questionnaire, a pu être la source de multiples biais, tant en ce qui concerne les horaires de prise de nourriture que d’autres paramètres : durée totale du sommeil, activité physique ou comorbidités notamment. De plus, Le statut ERBB2 n’a pu être pris en compte dans l’analyse.
En résumé, prolonger la durée de l’intervalle de jeûne nocturne pourrait être une méthode simple et efficace pour diminuer les récidives de cancers mammaires féminins. Cette notion pourrait avoir des implications notables en matière de santé publique mais se doit d’être validée par des essais cliniques randomisés seuls capables de démontrer qu’une prolongation de la période nocturne de jeûne diminue le risque de maladies chroniques, diabète, maladies cardiovasculaire et cancers en premier lieu.
Dr Pierre Margent
Référence
Marinac C R et coll. : Prolonged Nightly Fasting and Breast Cancer Prognosis. JAMA Oncol., 2016 ; publication avancée en ligne le 31 mars. doi: 10.1001/jamaoncol.2016.0164.
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Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 114