Perturbateurs endocriniens : la pression des lobbies une nouvelle fois dénoncée

Commentaire. Les perturbateurs endocriniens. La pression de lobbies encore une fois dénoncée. Entre les labos d’un côté et les lobbies qui veulent pouvoir continuer à nous intoxiquer nous avons fort à faire.

A l’heure où le péril devient énorme, les lobbies continuent. Quand se décidera t-on à pénaliser le lobbying ?

 

L’ARTICLE :

Paris, le mercredi 30 novembre 2016 – Depuis de nombreuses années, l’Union européenne est pressée d’adopter une réglementation et une définition spécifiques visant les perturbateurs endocriniens. Cet objectif est sans cesse repoussé.

D’abord par des pressions externes. Le Monde montre bien dans ses éditions d’hier comment les Etats-Unis, entre autres, militent activement pour que l’Europe ne s’engage pas dans une telle voie.

Par des oppositions entre les pays membres ensuite : sur ce sujet comme sur de nombreux autres la difficulté d’obtenir un consensus ralentit la prise de décision.

Mais surtout, les multiples industries concernées par l’utilisation de perturbateurs endocriniens œuvreraient pour minimiser le danger potentiel de ces substances et aboutir à un texte limitant le risque d’interdiction.

Des conclusions écrites d’avance

Plusieurs médias et associations ont déjà évoqué le poids des lobbies sur les décisions prises par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), notamment en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens. Hier le Monde a évoqué comment les décisions que s’apprêteraient à prendre l’Europe en la matière reposent sur une expertise faussée. La conclusion majeure de l’EFSA veut que « Les perturbateurs endocriniens peuvent (…) être traités comme la plupart des substances [chimiques] préoccupantes pour la santé humaine et l’environnement ». Traduction : aucune précaution particulière n’est nécessaire face à ces substances et une évaluation au cas par cas est possible. Au-delà du caractère contesté d’une telle conclusion, il apparaît que cette dernière n’est peut-être pas le fruit d’une véritable expertise scientifique. Le Monde met en effet en avant que dans un courriel adressé aux experts mandatés pour se pencher sur le sujet, l’EFSA fait déjà état de cette affirmation, alors même que les travaux n’ont pas commencé. Or, c’est exactement la même phrase que l’on trouvera quelques mois plus tard dans l’avis final. « Il est certain que les conclusions étaient écrites à l’avance, sinon sur le papier, au moins dans la tête de certains des participants », affirme au Monde une source proche du dossier. Cette appréciation de la situation satisfait en tout cas de nombreux groupes grands utilisateurs de substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens : la petite phrase de l’EFSA est largement reprise dans leurs différents dossiers et communiqués.

Des critères trop stricts

Au-delà de la façon dont ce principe a été édicté, celui-ci est sur le fond également contesté. Il va par exemple à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) qui il y a trois ans estimaient que la méthode traditionnelle d’évaluation des risques des produits chimiques ne pouvait être transposable aux perturbateurs endocriniens.

Certains voient dans cette distorsion une nouvelle marque du poids des lobbys. Enfin, à cet angle de vue discuté s’ajoute le fait que la Commission européenne dans sa future définition souhaite imposer que soient prouvés des effets avérés sur la santé humaine (et non seulement animale) pour préjuger d’une dangerosité. Or, il s’agit de critères plus difficiles à remplir que pour d’autres phénomènes toxiques (telle la cancérogénicité).

Une instance indépendante à l’image du GIEC nécessaire

Cette situation alarme de nombreux scientifiques du monde entier dont plus d’une centaine ont signé hier un appel à réagir, publié notamment par le Monde. Ces chercheurs établissent un parallèle entre la question des perturbateurs endocriniens et les pressions exercées par d’autres industries (tabac, pétrole) pour minimiser les effets délétères de leurs produits sur la santé et retarder ainsi l’adoption de mesures de précaution indispensables. Ces scientifiques fustigent ainsi l’entreprise de manipulation orchestrée par des « marchands de doute ». « Le projet d’établir une réglementation (…) dans l’Union européenne est activement combattu par des scientifiques fortement liés à des intérêts industriels, produisant l’impression d’une absence de consensus, là où il n’y a pourtant pas de controverse scientifique » ajoutent-ils encore. La situation est telle que les auteurs du texte considèrent comme de leur devoir de sortir de leur réserve habituelle. Ils souhaitent qu’une instance indépendante, à l’instar du GIEC en ce qui concerne le climat, puisse trancher sereinement de ces questions. Le parallèle est expliqué par les signataires du texte : « Bien que de nombreux Etats aient exprimé la volonté politique de traiter le problème des gaz à effet de serre, la traduction des connaissances scientifiques sur le changement climatique en action politique effective a été bloquée, notamment à cause de la désinformation du public et des dirigeants. Les gouvernements sont déjà en retard. Il est important de ne pas répéter ces erreurs avec les perturbateurs endocriniens, et d’apprendre de l’expérience des scientifiques du climat et de la recherche en santé publique ».

Reste à savoir, alors que le sujet fait l’objet de tensions au sein de la Commission européenne, ainsi qu’entre la Commission européenne et le Parlement, le poids que cet appel aura dans le débat.

Aurélie Haroche 

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Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 144