Perturbateurs endocriniens et fertilité féminine

C. COTINOT UMR 1198,

Biologie du développement et reproduction, INRA, Jouy-en-Josas

Commentaire de Olivier Soulier.

Publié dans la lettre de Médecine du sens n° 22.

Excellent article qui explique bien le processus de toxicité et la réalité de la transmission aux générations suivantes. La liste des toxiques est impressionnante.

Nous connaissons l’action des perturbateurs endocriniens sur les systèmes adultes, et le rôle des toxiques sur la chute des spermatozoïdes. Il apparaît bien expliqué ici l’action non plus de blocage d’organismes constitués, mais de perturbation du développement in utero des potentiels de fécondité future. Cela va aussi modifier l’anatomie génitale et générer des pathologies comme l’endométriose chez la femme adulte.

La période avant, pendant et après la grossesse est la période de sensibilité majeure. Les auteurs proposent que l’on y soit particulièrement attentif quand aux expositions, mais comme celles si sont anciennes et présentes partout, cela reste un voeu pieu.

C’est même le message génétique ou épigénétique qui va s’en trouver perturbé.

L’ARTICLE : 

Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques exogènes présentes dans notre environnement, capables d’altérer le fonctionnement de multiples organes, entraînant ainsi des effets nocifs à long terme sur la santé et la reproduction des individus et/ou de leur descendance. La grossesse est une période de vulnérabilité importante, car les processus développementaux sont sensibles à ces molécules chimiques. Des altérations du développement de l’appareil génital, de la glande mammaire, de l’axe hypothalamus-hypophyse-gonade et des gamètes induisant des effets à long terme sur le déclenchement de la puberté, la réserve ovarienne et la fertilité ont été observées dans plusieurs espèces de mammifères. Certaines de ces altérations se transmettent aux générations suivantes.

Une exposition  chronique, multiple  et à faible dose

Dans notre environnement quotidien, nous sommes exposés à une multitude de molécules chimiques présentes dans l’alimentation (contenu et contenant), l’eau, l’air (intérieur et extérieur) et les produits de consommation courante (cosmétiques, matériel informatique, peintures, vêtements, jouets, etc.). Parmi ces molécules se trouvent les perturbateurs endocriniens qui interfèrent avec l’action des hormones naturelles à de multiples niveaux. Tous les organes des systèmes endocrines sont des cibles potentielles de ces molécules : le cerveau, l’hypothalamus, l’hypophyse, la thyroïde, les surrénales, le tractus génital et les gamètes, le pancréas, le tissu adipeux, la glande mammaire. La fonction de reproduction est une des cibles majeures de ces molécules parmi lesquelles on trouve les phyto-estrogènes (soja), les hormones de synthèse (contraceptifs, THS), des antalgiques légers comme l’aspirine, les anti-inflammatoires ou le paracétamol, et d’autres substances chimiques industrielles : les alkylphénols, les phtalates, les polychlorobiphéniles (PCB), le bisphénol A (BPA), certains pesticides, fongicides et herbicides, ainsi que des molécules entrant dans la fabrication des cosmétiques (parabens, filtres UV) ou encore les hydrocarbones polycycliques aromatiques (PAHs) contenus dans la fumée de cigarette. Chacun d’eux est présent à faibles doses dans l’environnement et est retrouvé dans la plupart des fluides biologiques humains (sérum, liquide folliculaire, sang de cordon ombilical, liquide amniotique).

L’exposition humaine est estimée à : BPA = 0,5 à 1 µg/ kg/jour, DEHP = 52 µg/kg/jour et DBP = 5 µg/kg/jour.

La grossesse,  une période  particulièrement  vulnérable

À la suite de nombreuses études effectuées sur des modèles animaux, il a été montré que la période de plus grande vulnérabilité est la grossesse, car les phases précoces du développement sont les périodes critiques de différenciation des organes et les processus biologiques impliqués sont sensibles aux substances hormonalement actives. L’interaction des perturbateurs avec ces processus va avoir des conséquences à long terme sur la reproduction de l’individu adulte et sa descendance en perturbant l’organogenèse des tissus et en induisant des modifications épigénétiques dans les gamètes durant cette période. Dans l’espèce humaine, le tractus génital se différencie à partir de la 5e semaine de gestation et l’ovaire entame sa différenciation à partir de la 8e semaine. Après une phase de prolifération, les ovogonies entrent en prophase de 1re division méiotique (méiose I) à la fin du 1er trimestre (12 semaines). Dès le 5e mois, les ovocytes ont achevé la prophase I et sont entourés par une couche unistratifiée des cellules en provenance des cordons sexuels, que l’on appelle « cellules folliculaires » ou « cellules de la granulosa ». Ils forment alors les follicules primordiaux, qui constitueront la réserve ovarienne. Cette réserve, constituée pendant la vie fœtale, sera utilisée jusqu’à la ménopause. Son altération entraînera l’apparition d’insuffisance ovarienne précoce. Il est à noter que la formation des follicules primordiaux a lieu après la naissance chez les rongeurs. Les périodes de vulnérabilité seront donc différentes entre espèces de mammifères.

Mécanismes susceptibles d’être perturbés au cours du développement femelle

Les modèles animaux ont montré que des expositions in utero entraînent des modifications de la cyclicité et des précocités sexuelles en agissant sur l’axe neuro­-endocrine­-gonade (altérations au cours du développement de l’hypothalamus et de l’hypophyse (système KiSS­1/GPR54, récep­teurs GnRH et galanine). Au niveau ovarien, l’impact négatif des perturbateurs endocriniens a été décrit sur la méiose des ovocytes, la formation des follicules, leur activation, le contrôle de la réserve ovarienne et la programmation épigénétique des ovocytes. Toutes ces altérations ont pour effet de modifier le nombre et la qualité des follicules et d’entraîner des baisses de fertilité des individus femelles (apparition d’ovaires polykystiques, diminution de la réserve ovarienne aboutissant à des insuffisances ovariennes prématurées). Enfin, au niveau de l’organogenèse des organes génitaux internes (utérus : endométriose, polypes), externes (distance anogénitale) et de la glande mammaire, ayant des effets à long terme sur l’apparition des malformations ou sur l’incidence de cancers hormono­-dépendants.

En conclusion

• Les effets des perturbateurs endocriniens sont espèce­, âge­, sexe­ et tissu­ spécifiques.
• La période de développement des organes et de la mise en place des marques épigénétiques dans les gamètes est une période de grande vulnérabilité.
• Limiter au maximum l’exposition aux perturbateurs endocriniens dès la période péri-conceptionnelle, pendant toute la gestation et au cours de l’allaitement.
• Les expositions in utero peuvent avoir des effets à long terme, non seulement au cours de la vie de l’individu, mais sur sa descendance, démonstration en a été faite jusqu’à la 3e géné­ration pour un mélange de plas­tifiants chez les rongeurs et pour le diéthylstilbestrol (DES) dans l’espèce humaine.

http://www.jim.fr/medecin/fmc/mise_au_point/e-docs/pertubateurs_endocriniens_et_fertilite_feminine_144832/document_mise_point.phtml