Où l’on reparle du dysfonctionnement immunitaire en psychiatrie
Commentaire de Olivier Soulier.
Publié dans la lettre de Médecine du sens n° 10
Article très important. Pour la première fois il est fait le lien entre psychiatrie et auto immunité avec tant de précision. Dans nos lettres précédentes nous avions déjà donné plusieurs exemples de ces liens. Mais il y a ici une forme de précision qui marque une nouvelle étape.
Une pathologie psychiatrique serait la manifestation d’un processus auto immun et gouverné par des anticorps. Une révolution.
En cas de difficulté quand le conflit allume l’auto immunité, elle peut donner des effet psychiques ou physiques et souvent les deux à des proportions différentes.
Mais psy ou soma ne sont que des conséquences. Et l’un et l’autre ne sont pas dissociables.
A suivre…
L’ARTICLE :
Contrairement à la vision simpliste reprenant la métaphore informatique opposant classiquement le « soft » (logiciel) au « hard » (matériel) pour assimiler la psychiatrie aux dysfonctionnements d’une sorte de « logiciel » cérébral, et la neurologie à ceux du substrat physique (anatomo-physiologique), des recherches récentes suggèrent que les choses seraient sans doute plus subtiles, et parfois imbriquées. On a découvert ainsi que certains troubles étiquetés « psychiatriques » (anxiété, dépression, confusion, troubles mnésiques, changement de personnalité, troubles du sommeil…) sont parfois liés à des pathologies auto-immunes. Par exemple, une étude publiée en 2013[1] suggère qu’une « proportion significative de patients souffrant d’un premier épisode psychotique ont des auto-anticorps reflétant un processus auto-immun sous-jacent. » Affection emblématique de ces troubles : l’encéphalite limbique auto-immune. Elle était auparavant considérée comme rare, presque toujours en rapport avec une tumeur cancéreuse, et réfractaire aux traitements. Mais des travaux récents montrent qu’il s’agit en fait d’un trouble « relativement fréquent, souvent sans lien avec un cancer, et pouvant répondre au traitement. »
De nouveaux anticorps (voir tableau) ont été découverts, dirigés « contre des protéines à la surface des structures nerveuses », contrairement aux anticorps paranéoplasiques déjà connus qui sont dirigés « contre des antigènes intracellulaires. » Cette situation se révèle « cruciale », dans la mesure où lorsqu’une telle maladie est associée à des protéines en surface des structures neurologiques, elle peut « répondre correctement à l’immunothérapie », contrairement aux troubles associés à des antigènes intracellulaires, moins accessibles car plus profonds.
Profil clinique des troubles neuropsychiatriques liés à un trouble auto-immunitaire (d’après Thachil A et coll.)
VGKC : Complexe voltage-dépendant des canaux potassiques.
NMDAR : Récepteur N-methyl-d-aspartate.
AMPAR : Récepteur de l’acide alpha-amino 3-hydroxy 5-methyl 4-isoxazolepropionique.
GABA-b : Récepteur de type B de l’acide gamma-aminobutyrique.
Il est certes difficile de différencier un contexte « purement psychiatrique » d’une situation où des troubles auto-immuns sont impliqués. Mais cette difficulté constitue précisément un bon argument pour dénoncer un problème que les auteurs relèvent, la « démédicalisation progressive de la psychiatrie depuis plusieurs années. » Dans ce nouveau chapitre étiologique des dysfonctionnements immunitaires à l’origine de certaines affections psychiatriques, la leçon la plus importante réside dans cette « invitation à rapprocher la psychiatrie de la neurologie et du reste de la médecine clinique. » Et pour les auteurs, la position actuelle est devenue « intenable », puisqu’au mépris de ces nouvelles connaissances, la psychiatrie et ses servants tendent parfois à « se retrancher dans un bunker » à l’écart de la médecine (les auteurs parlent d’un « silo institutionnel »).
Dr Alain Cohen
RéférencesThachil A coll.: Antibodies attacking the brain: is it time for a paradigm shift in psychiatric
practice and service models? Aust N Z J Psychiatry, 2013; 47: 1108–1112.
1) Steiner J et coll.: Increased prevalence of diverse N-methyl-d-aspartate glutamate receptor antibodies in patients with an initial diagnosis of schizophrenia: specific relevance of IgG NR1a antibodies for distinction from N-methyl-d-aspartate glutamate receptor encephalitis. JAMA Psychiatry 2013; 70: 271–278.
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