Le dépistage du cancer du sein doit-il être abandonné ?

Commentaire. Nous avons déjà parlé du dépistage pas si positif du cancer de la prostate dans la lettre n° 133 (https://www.lessymboles.com/cancer-de-la-prostate-traiter-ou-ne-pas-traiter-telle-est-toujours-la-question/)

Voici le cancer du sein, dont le dépistage est régulièrement remis en question.

Ces mammographies faites en séries sur des millions de femmes ont-elles vraiment un apport positif ?

Elle devaient prévenir le risque de gros cancers évolués, mais leur nombre reste stable ou avec juste une petite baisse. Par contre, elle provoquent une flambée de découverte de petits cancers. En fait, on pensait en dépistant les petits éviter qu’ils deviennent gros, ce n’est pas le cas.

Apparement le rapport coût résultat n’est pas vraiment au rendez vous.

 

L’ARTICLE :

Mettre en doute l’intérêt du dépistage systématique du cancer du sein par mammographie était un tabou il y a encore 10 ans, et tout particulièrement en France. Mais depuis quelques années de nombreuses publications, pour la plupart émanant de pays nordiques ou anglo-saxons, ont suscité des interrogations sur l’opportunité de cette mesure dite de santé publique.

Dernière en date de ces études choc, celle que vient de publier le New England Journal of Medicine qui jette à nouveau un pavé dans la marre. Il ne s’agit pas cette fois d’un essai randomisé comparant populations dépistées et non dépistées ou d’une méta-analyse comme récemment dans le Lancet, mais d’une étude épidémiologique d’un concept relativement simple.

Un travail portant sur 10 % de la population américaine durant 30 ans

Archie Bleyer et coll. se sont basés pour ce travail sur le réseau SEER (Surveillance, Epidemiology and End Results) qui regroupe des informations médicales sur environ 10 % de la population des Etats-Unis depuis 1973. Il a été ainsi tout d’abord possible de déterminer quelle était l’incidence « naturelle » du cancer du sein chez les femmes de plus de 40 ans avant tout dépistage organisé par mammographie (c’est à dire avant le milieu des années 80 et plus précisément entre 1976 et 1978). Une fois cette mesure réalisée, les auteurs ont pu, année après année, calculer la variation d’incidence de ce cancer par rapport à l’état basal en distinguant les tumeurs dépistées à un stade précoce (y compris les carcinomes canalaires in situ) qui sont la cible du dépistage et celles diagnostiquées à un stade tardif (définies par une extension régionale ou des métastases à distance).  Les résultats sont présentés sur les courbes ci-dessous.

Seuls 8 cancers dépistés chez 100 000 femmes auraient évolué défavorablement

Il apparaît au premier coup d’Å“il que l’augmentation des cancers dépistés à un stade précoce après 40 ans (qui était attendue) n’a pas entrainé une baisse équivalente des néoplasies diagnostiquées à un stade tardif. Ainsi l’incidence des stades précoces est passée de 112/100 000 et par an à 234/100 000 (soit une augmentation de 122/100 000) alors que dans le même temps l’incidence des stades tardifs n’a diminué que de 102 à 94/100 000 par an (soit une réduction de 8 cas pour 100 000 par an). Si l’on admet que l’incidence « naturelle » du cancer du sein n’a pas varié durant ces décennies, en toute logique, seuls 8 des 122 cancers supplémentaires dépistés pour 100 000 femmes et par an étaient « destinés » à évoluer vers un stade tardif. En d’autres termes il y a eu 114 sur-diagnostics pour 100 000 femmes par an (soit pour les Etats-Unis plus de 70 000 chaque année et 31 % des cancers du sein diagnostiqués).

Le dépistage ne serait pas le premier responsable de la baisse de mortalité par cancer du sein

Un taux d’incidence « naturelle » du cancer du sein stable étant un élément déterminant du raisonnement, Archie Bleyer et coll. ont refait leurs calculs en tenant compte d’hypothèses dans lesquelles l’incidence « naturelle » augmentait de 0,25 à 0,50 % par an.

Mais même dans ces hypothèses le nombre de sur-diagnostics restait très élevé et dépassait dans le cas le plus extrême 50 000 par an pour l’ensemble du pays.

 

Il faut ajouter que certains éléments plaident pour une relative stabilité de l’incidence « naturelle » de la maladie:

– le fait que chez les femmes de moins de 40 ans (non soumises au dépistage) l’incidence annuelle du cancer du sein a peu augmenté sur la période (environ 0,25 % par an);
– la constatation d’une absence d’augmentation de l’incidence des cancers du sein diagnostiqués au stade métastatique durant la période d’étude.

Malgré ces données  globalement très négatives sur l’impact du dépistage, les partisans de cette mesure pourraient souligner que la mortalité par cancer du sein a fortement décru depuis sa mise en Å“uvre (de 28 % aux Etats-Unis). Les auteurs répondent par avance à cet argument en indiquant que, selon eux, le dépistage ne serait au mieux responsable que d’une petite part de cette baisse de mortalité, l’essentiel étant lié aux progrès des traitements. Ils n’en veulent pour preuve que la grande stabilité de l’incidence des cas diagnostiqués au stade métastatique et par la baisse plus importante encore de la mortalité par cancer du sein observée chez les femmes de moins de 40 ans non soumises au dépistage (- 42 %). Pour eux il faut également tenir compte du fait que d’une façon générale, plus les traitements sont efficaces (ce qui est le cas dans cette pathologie) moins le dépistage précoce peut avoir  d’intérêt, tout au moins en termes de réduction de la mortalité.

Gageons toutefois que ce travail ne manquera pas d’être contesté notamment parce que les auteurs ont ajusté certaines des données en fonction de l’impact potentiel des traitements hormonaux substitutifs entre 1990 et 2005 et que ce type d’ajustement est nécessairement imprécis.

Réévaluer la politique de dépistage systématique

Pour Archie Bleyer et coll. en termes de santé publique la cause semble donc entendue, leur travail confirmant d’ailleurs les résultats de certaines études randomisées comme celle de Malmö qui avait montré qu’un quart des tumeurs dépistées étaient des sur-diagnostics. S’ils admettent qu’à l’échelle individuelle il est impossible, avec les moyens actuels, de déterminer si un cancer dépisté est ou non un sur-diagnostic, ils soulignent qu’il faut garder à l’esprit que nous avons en revanche la certitude que tous les sur-diagnostics vont subir des examens et des traitements inutiles par chirurgie, radiothérapie, hormonothérapie, chimiothérapie (plus ou moins combinées).

Au total en l’absence d’un essai randomisé récent, reflétant l’efficacité des thérapeutiques actuelles, on peut lire entre les lignes que pour Bleyer et coll., à l’échelle collective, on ne peut plus conseiller le dépistage systématique comme il est pratiqué aujourd’hui dans de nombreux pays. Et à l’échelle individuelle il n’est pas possible de répondre avec pertinence à la question d’une femme qui demanderait: « Dois-je me faire dépister? « .

Un débat national sur ce thème s’impose.

Dr Anastasia Roublev 

Référence

Bleyer A et coll.: Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N engl J Med 2012; 367: 1998-2005.

www.jim.fr/pharmacien/actualites/pro_societe/e-docs/00/02/11/D4/index.md

 

Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 136