La déshumanisation des étudiants permet-elle de former de bons médecins ?
Commentaire. La déshumanisation des étudiants en médecine permet-elle la formation de bons médecins ?
Intéressant que l’on puisse même se poser la question. 30% des internes sont reconnus dans un état de dépression.
La déshumanisation a de nombreuses causes.
Des étudiants utilisés comme main d’oeuvre à bon marché, 40 à 50 heures par semaine pour 150 euros de salaire. De l’exploitation pure et simple pour faire la plupart du temps non pas de la médecine mais de la paperasserie et non pour apprendre ce que sera réellement leur futur métier : la médecine.
Des études qui ont aussi perdu toute forme d’humanité avec des formes de dressage pour former de bons prescripteurs selon les règles établies.
Aucune psychologie, souvent même des enseignants qui décrivent les médecines comme l’homéopathie ou l’acupuncture comme dangereuses. Ce qui représente aussi une forme de diffamation totalement interdite par les règles de l’ordre.
Des ‘Pamizero’, expression qui veut dire que si dans une question d’examen vous ne mettez pas tel ou tel mot, vous avez zéro.
Cela contribue à entretenir une forme de peur chez les étudiants.
Peur maximum avec l’internat.
Cela crée, aussi, juste de bons prescripteurs de médicaments, pas forcement de vrais médecins humains.
D’un autre côté, une population entière de patients qui réclame des médecins plus humains, davantage formés à la psychologie.
La réalité est que les médecins qui le souhaitent vont devoir aller chercher ailleurs que dans leurs études toute cette part humaine si fondamentale pour soigner vraiment. Beaucoup le font et c’est heureux, mais à quel prix ?
L’ARTICLE :
Paris, le samedi 12 mars 2016 – Si l’on ignore tout des circonstances qui ont pu entraîner le suicide d’un interne en chirurgie de 27 ans à Marseille à la fin du mois de février, ce drame a soulevé une importante vague d’émotions dans la communauté médicale. Il a en effet rappelé combien la souffrance psychique est tout à la fois très présente dans ce monde et encore largement tue. Le mal être des internes ne serait ainsi pas un phénomène marginal. Dans un texte publié en décembre sur le site de l’Observateur, deux internes du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP), Leslie Grichy et Nicolas Delanoy avançaient quelques chiffres. Ils rappelaient tout d’abord les résultats d’une méta analyse (reposant sur des études conduites dans plusieurs pays) publiée récemment dans le JAMA estimant que près de 30 % des internes présenteraient des signes de dépression. Les deux étudiants remarquaient encore que « Si la France ne faisait pas partie de cette étude, un chiffre permet d’affirmer qu’il en est très probablement de même dans notre pays : chaque année, c’est au moins cinq internes qui mettent fin à leurs jours en Ile-de-France (selon l’ARS et l’AP-HP). Nous connaissons tous un interne qui s’est suicidé ou a tenté de mettre fin à ses jours ».
Pour expliquer ce phénomène les deux internes évoquaient le passage important constitué par l’internat « du monde sécurisé des livres et des exercices théoriques à une réalité plus complexe, plus incertaine ». Cependant, d’autres observent que les conditions dans lesquelles se déroulent les études de médecine et ce dès l’externat pourraient favoriser la vulnérabilité de certains. Un externe évoque ainsi pour le JIM la « déshumanisation des étudiants » et la tendance de plus en plus marquée des structures hospitalières à les utiliser comme une main d’œuvre bon marché, reléguant l’exigence pédagogique et humaine au second plan. En se basant sur sa propre expérience, il nous livre une réflexion sur les dérives d’un système, qui une nouvelle fois susciteront probablement de nombreux commentaires et un témoignage dérangeant.
Par Antoine X (Etudiant en médecine)
Actuellement en 6e année de médecine à Paris Descartes, je m’apprête à passer le concours des ECN avec pour objectif d’être psychiatre. Le suicide d’un interne de chirurgie qui a eu lieu récemment a beaucoup résonné en moi ces derniers jours. Déshumanisation, burn-out, dépression, l’obsession de la réussite et du savoir, la peur de l’erreur : tout étudiant en médecine a eu un aperçu plus ou moins intense de ces difficultés lors de ses études, je les ai moi aussi vécues pleinement.
Une peur omniprésente
Ayant souffert d’une dépression l’an passé, j’ai été forcé de prendre du recul vis-à-vis de mes études et abandonner ce système dans lequel j’étouffais. Stages le matin, travail personnel l’après-midi, conférences ou sous-colles le soir pendant 3 ans. La peur de nuire à autrui en faisant des erreurs s’ajoute rapidement à la peur de l’échec au concours. Cette peur formate notre vie, nous robotise, nous enlève cette part d’humanité qui nous est indispensable dans notre métier.
Car oui, c’est avant tout un métier. Ce métier on le fait surtout pour nous, pour gagner notre vie tout en étant utile aux autres et à la société. Je ne pense pas qu’il soit réellement possible d’aider les autres sans s’accomplir dans sa propre existence.
Des étudiants utilisés
Les externes et internes sont parfois tenus d’assumer toutes les casquettes de l’hôpital : secrétaire, brancardier, infirmier, opérateur téléphonique…
Dans le meilleur des cas nous recevons une compensation à travers les connaissances de nos aînés. Dans le pire des cas, le service utilise la docilité des étudiants et la peur pour nous prendre en otage, notamment en chirurgie.
Lors d’un stage en chirurgie, je me suis ainsi senti piégé. Aucune pédagogie, une compensation financière à hauteur d’un euro par heure, de la technique pure ; j’ai été relégué dans le rôle d’aide-opératoire pendant 10h par jour malgré mon manque d’expérience et de qualification pour ce job. Tous les matins, j’essayais de trouver une motivation. Sans résultat. Je me sentais esclave d’un système, condamné à exécuter cette tâche uniquement par solidarité envers les autres étudiants qui seraient appelés pour me remplacer si je ne pouvais assumer.
Un sursaut est nécessaire
Externes et internes, nous ne devons pas essayer de nous adapter à un système qui nous piège. La structure de l’hôpital doit au plus vite s’adapter à notre mode de vie. Nous n’avons pas à sacrifier ce qui nous rend de meilleurs êtres humains. Cela ne rend service à personne. Sera-t-il possible un jour de devenir médecin en étant accompagné plutôt qu’utilisé ? Comment notre société peut-elle ignorer la souffrance des personnes qui la prendra en charge plus tard ? Il est nécessaire d’ouvrir le débat pour éviter d’autres drames qui sont inévitables tant la souffrance est présente au sein de ces professionnels en devenir.
Actuellement, ma dépression est sur la voie de la guérison. J’ai décidé de vivre pleinement ma vie, d’accepter les limites de ma santé psychique. Un métier ne vaut pas une vie.
Les intertitres sont de la rédaction.
Le prénom a été changé.
Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 109