Généraliser l’allaitement sauverait plus de 800 000 enfants par an
Commentaire. Avec la survenue des maladies chroniques, auto-immunes et dégénératives, l’allaitement apparait de plus en plus comme un des moyens essentiels de la vie de protéger ses enfants. Au-delà du rôle nutritif qui est capital, il apporte une sécurité affective et immunitaire par l’ensemencement de la flore intestinale.
Il pourrait sauver 800 000 enfants par an.
L’ARTICLE :
Allaiter au sein ou au biberon est sans doute une question de choix individuel, du moins pour les mères libres (sur le plan matériel, professionnel ou familial) de cette décision. Mais c’est aussi une question de santé publique. Une , agrégeant les données recueillies dans 164 pays, conclut que l’allaitement maternel pourrait , chaque année, la mort de 823 000 enfants de moins de cinq ans dans , en même temps que plusieurs infantiles. Cette pratique réduirait aussi de 20 000 le nombre annuel de décès par du sein.
Publiée vendredi 29 janvier dans la revue médicale The Lancet, cette « méta-analyse », financée par la fondation Bill et Melinda Gates ainsi que par le Wellcome Trust britannique, conforte , qui préconise un allaitement maternel exclusif jusqu’à l’âge de six mois, puis un allaitement partiel jusqu’à deux ans. Elle confirme l’estimation, déjà avancée dans de précédents travaux et retenue par l’OMS, de 800 000 décès d’enfants évitables.
Son intérêt majeur est de en lumière le fait qu’il ne s’agit pas seulement, comme on l’imagine parfois, d’une problématique de pays en développement. « Il existe une idée fausse très répandue selon laquelle les bénéfices de l’allaitement maternel ne concernent que les pays pauvres. Rien ne pourrait plus éloigné de la vérité, souligne Cesar Victora (université fédérale de Pelotas au ), qui a dirigé l’équipe scientifique. Notre travail montre clairement que l’allaitement maternel sauve des vies et de l’argent dans tous les pays, riches aussi bien que pauvres. »
Un enfant sur cinq allaité dans les pays riches
A l’échelle de la , ou non la tétée à son nourrisson, jusqu’à un âge plus ou moins avancé, apparaît bien déterminé, au-delà des facteurs culturels, par le niveau de ressources. Globalement, relève l’étude, un peu plus d’un enfant sur cinq seulement est allaité au sein – au moins partiellement – jusqu’à douze mois dans les pays à revenus élevés, alors qu’ils le sont quasiment tous dans les pays à faibles ou moyens revenus. Pour autant, dans ces derniers, seul un enfant sur trois est nourri exclusivement au sein jusqu’à six mois. Au-delà de vingt mois, quatre enfants sur dix ne reçoivent plus de lait maternel dans les pays à bas revenus, et plus de huit sur dix dans ceux à hauts revenus.
Pourcentage d’enfants nourris au moins partiellement au sein à douze mois. | THE LANCET
Ce tableau général recouvre bien sûr de fortes disparités. Au sein des pays riches, le taux d’allaitement maternel des enfants d’un an est le plus faible au (0,5 %), en (2 %) et au (3 %), très en-deçà des scores du (60 %), de la (35 %), de la (34 %), des Etats-Unis (27 %), de l’ (23 %) ou de l’ (23 %). En , ce pourcentage n’est que de 9 % et une précédente étude, parue en septembre 2015, le situait même autour de 5 %.
Enjeux sanitaires considérables
Or, les enjeux sanitaires sont considérables. Les données compilées par les chercheurs indiquent que dans les pays pauvres, le risque de mortalité, dans les six premiers mois, est huit fois inférieur lorsque les nourrissons bénéficient d’un allaitement maternel complet, par rapport à ceux qui en sont totalement privés. La tétée éviterait, en particulier, la moitié des épisodes de diarrhée et un tiers des infections respiratoires.
Les pays riches, même si la mortalité infantile y est beaucoup plus faible, n’en sont pas moins concernés. Car l’allaitement y réduit de 36 % le risque de mort subite du nourrisson, et de 58 % celui d’entérocolite nécrosante, une perte de tissus de la muqueuse intestinale surtout observée chez les prématurés et parfois mortelle.
Il en va aussi de la bonne santé ultérieure des enfants. Le lait maternel assure une protection « probable » – les auteurs sont moins affirmatifs sur ce point – contre le surpoids et l’obésité, de même que contre le diabète.
Les mères elles-mêmes, poursuivent les chercheurs, tireraient bénéfice d’une généralisation de l’allaitement au sein. Celle-ci permettrait d’éviter non seulement 20 000 décès annuels par cancer du sein – le plus fréquent chez la femme –, mais encore de les contre le cancer de l’ovaire.
Des milliards de dollars d’économie aux Etats-Unis
A la santé s’ajoute l’économie. Les auteurs ont calculé qu’aux Etats-Unis par exemple, à 90 % le taux d’allaitement maternel des nourrissons de moins de six mois (contre 49 % aujourd’hui) économiserait au système de santé américain au moins 2,4 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros) par an du fait de la réduction des maladies infantiles.
L’étude rappelle également l’ampleur du marché des substituts de lait maternel. Il était, en 2014, de près de 45 milliards de dollars, et pourrait 70 milliards en 2019. C’est l’une des clés du problème : « La saturation des marchés dans les pays riches a poussé les industriels à rapidement les marchés émergents », observe le Dr Nigel Rollins, de l’OMS. Une commerciale agressive qui sape les efforts pour les taux d’allaitement maternel.
Aussi les chercheurs préconisent la mise en place de politiques en faveur de l’allaitement au sein « à tous les niveaux, , communauté, travail, gouvernement ». Et l’inscription de cette pratique parmi les « objectifs du ».
« L’intérêt de cette étude est de donner une vue mondiale de la question de l’allaitement, pour les enfants et pour les mères, commente Sandra Wagner, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Elle en rappelle les bénéfices aux mères, mais aussi aux responsables des politiques publiques. » Ce qui n’enlève rien au libre-arbitre des femmes devant le choix de l’allaitement.
Par Pierre Le Hir
LE MONDE | 29.01.2016
Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 104