ENQUÊTE EXCLUSIVE. Votre enfant est-il pollué ?

Commentaire. On continue sur les pollutions. Enquête exclusive « Votre enfant est-il pollué ?»

 

 

L’ARTICLE :

« L’Obs » a fait analyser 63 mèches de cheveux d’un panel d’enfants de moins de 12 ans. Résultat : les perturbateurs endocriniens, des substances chimiques qui dérèglent les hormones, s’y bousculent !

C’est une étude exclusive que « l’Obs » a commandée cet été au laboratoire luxembourgeois Human Biomonitoring Research Unit (HBRU) et elle a de quoi faire frémir. (William Beaucardet pour

Arnaud, dites-moi, vous avez un chat chez vous, non ? »

Etonnement du journaliste. Euh, oui en effet, mais…

Et parmi vos trois fils, celui qui joue le plus avec le chat est celui-ci, non ? »

Mais comment diable Brice Appenzeller, directeur de la Human Biomonitoring Research Unit (HBRU), un laboratoire de recherche public situé au Luxembourg, qui n’a jamais mis un pied chez l’auteur de ces lignes, sait-il tout ça ? Le chercheur désigne en souriant le tableau qui s’affiche sur son écran d’ordinateur.

Regardez la colonne ‘fipronil’. Observez les concentrations élevées que l’on trouve chez votre fils. »

Argh ! Le fipronil est un antipuces prescrit par les vétérinaires pour les chats. Accessoirement, c’est un perturbateur endocrinien qui s’attaque à la thyroïde, dont les conséquences sur le développement des enfants sont plus qu’inquiétantes.

Perturbateurs endocriniens : ce qu’on sait, ce qu’on ignore

La panique gagne soudain le journaliste. Quelques mois plus tôt, il a adressé une poignée de cheveux de ses trois enfants à la HBRU, car ce laboratoire a mis au point une technique permettant de déceler dans cette banale matière capillaire la présence de presque tous les poisons circulant dans le sang. Pire, il a demandé à nombre de ses collègues et amis de faire de même avec leur progéniture.

Or les résultats de l’étude exclusive que « l’Obs » a commandée à la HBRU et qui s’appuie sur un panel représentatif d’enfants de Paris et de province (voir le détail ci-dessous) sont proprement effarants. Ils révèlent que tous sans exception sont truffés de molécules chimiques (diéthylthiophosphates, pentachlorophénols…) ayant un effet suspecté ou avéré de perturbateur d’hormones.

Des molécules interdites en France 

Des produits qui ne devraient pas du tout se retrouver là. La plupart d’entre eux appartiennent à la famille des insecticides et pesticides : c’est donc en partie par l’alimentation que nos enfants sont contaminés. Brice Appenzeller note :

Surtout, un large panel des molécules dont on décèle la présence, comme le HCB [un fongicide, NDLR] ou les endosulfans [des insecticides], sont interdites en France depuis de nombreuses années, bien avant la naissance de beaucoup de ces enfants ! »

Preuve que ces cochonneries perdurent dans nos écosystèmes ou bien que les produits que nous consommons viennent de pays moins sourcilleux que le nôtre. Il a fallu annoncer et commenter ces désastreux résultats aux parents qui ont « prêté » leurs enfants pour cette expérience.

Les jouets en plastique peuvent contenir des retardateurs de flamme bromés, qui perturbent la thyroïde, le foie et la reproduction. 

Un père s’est frappé le front d’un geste rageur : « Bon sang, je savais qu’on n’aurait jamais dû acheter ce lit d’enfant sur internet… Il puait les vernis empoisonnés ! » Une mère a fondu en larmes et empoigné illico son portable pour réprimander son compagnon : « On devrait manger bio, tu vois ! On bouffe n’importe comment à cause de toi ! » Et tous ont peu ou prou posé la même question angoissée :

Mais où est-ce qu’il/elle a été contaminé(e) ? »

La réponse est simple : partout ou presque ! Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la Santé, il existe « environ 800 » substances chimiques « reconnues ou susceptibles » d’être perturbatrices, dont « l’écrasante majorité […], courante sur le marché, n’a fait l’objet d’aucun test » pour identifier leurs effets réels. Rémy Slama, épidémiologiste environnemental à l’Inserm et directeur de recherche à l’université de Grenoble, énumère :

Certaines ont un rôle de conservateur dans les savons, crèmes de soin et détergents ménagers, d’autres servent comme assouplissants pour les plastiques, comme insecticides ou pesticides agricoles, comme antiadhésifs ou antitaches ou, enfin, comme désinfectants dans les produits de beauté et d’hygiène… »

Il n’est même pas possible de se retrancher derrière les incertitudes scientifiques. Certes, les nombreuses nuisances prêtées aux perturbateurs, troubles de la reproduction, obésité, perte de points de QI… commencent seulement à être examinées dans le détail. Mais leur réalité fait aujourd’hui consensus chez les scientifiques.

Le lobbying des industriels

Quelques pays font depuis peu les gros yeux – comme la France qui a banni en 2010 le bisphénol A, perturbateur avéré qui tapissait les biberons, canettes et boîtes de conserve. Mais tout ou presque reste à faire pour mieux connaître et chasser ces molécules. Et ce travail est urgent, car perturber le système hormonal, c’est chambouler de manière extrêmement grave toutes les fonctions du corps. Rémy Slama détaille :

Le système endocrinien joue un rôle essentiel pour le développement de tout notre métabolisme. Il régule la température du corps, les fonctions cardiaques, les capacités cognitives, la fertilité, et interagit avec le système immunitaire, nerveux… »

Si notre enquête se focalise sur les moins de 12 ans, c’est précisément parce que « l’enfant se trouve dans une période de croissance, donc souvent dans une situation de sensibilité accrue aux perturbations hormonales. C’est le cas notamment quand il est dans l’utérus, mais aussi au cours des premiers mois de sa vie et à la puberté. »

Or, on sait que les « perturbations » démarrent avant la naissance. On sait aussi que les enfants ont tendance à être plus exposés à la pollution endocrinienne que la moyenne des Homo sapiens. Pourquoi ? Parce que, souvent assis par terre, voire à quatre pattes, ils récoltent en grande quantité les polluants qui s’y trouvent. Et comme ils mettent les mains (et tout ce qui leur passe à proximité) à la bouche, ces substances les atteignent plus facilement. Quand vous dites cela à un parent qui s’est prêté à l’enquête, il vire au pivoine et fulmine :

Mais pourquoi ne les interdit-on tout simplement pas, ces perturbateurs ? »

On aimerait lui répondre que c’est une affaire fort compliquée, que rien n’est scientifiquement étayé, mais la réponse est plus désarmante que ça. « Il serait tout à fait possible, au nom du principe de précaution, de bannir toutes les molécules dangereuses quand on sait qu’il existe des molécules de substitution. Pour les autres, on fixerait une durée limitée et l’on demanderait aux entreprises de les trouver, ces substitutions », confirme Michèle Rivasi, vice-présidente du groupe des Verts européens au Parlement de Strasbourg, qui, comme tous les écolos d’Europe, voudrait interdire ces produits.

Mais il y a d’énormes intérêts économiques en jeu… »

Comme le dépeint de manière acérée la journaliste Stéphane Horel, le lobbying des industriels et des producteurs de pesticides est en effet si féroce que, pour le moment, rien ou presque n’a bougé d’un iota. Eliminer tous les perturbateurs présents dans nos maisons et nos assiettes coûterait en effet beaucoup d’argent et d’énergie aux entreprises concernées… qui se préoccupent peu de la santé publique et du petit garçon pollué par son matou.

http://tempsreel.nouvelobs.com/sante/20151027.OBS8437/enquete-votre-enfant-est-il-pollue.html#

 

Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 102