« Cancers : des milliers d’opérations inutiles »
Commentaire. Cancer de la thyroïde des milliers d’opérations inutiles.
Qui n’a pas vu le cou, souvent d’une femme, avec une belle cicatrice ? Cette mode d’enlever les thyroïdes est apparue il y a 30 à 40 ans pour des « risques de cancer » . Aujourd’hui on réalise que 60% des opérations seraient inutiles.
C’est tout le problème des surs diagnostics, des diagnostics fait en trop. Cela touche le sein, la prostate, et la thyroïde. Des mutilations inutiles pour un risque et des peurs.
L’ARTICLE :
C’est ce que titre Le Parisien sur sa Une, notant sur deux pages qu’« une étude révèle que 60% des opérations de la thyroïde ne sont pas nécessaires. Les protocoles sont en train de changer pour privilégier désormais un suivi personnalisé de la maladie ».
Claudine Proust remarque ainsi : « Jusqu’où faut-il aller dans le repérage de tumeurs, qui pour certaines s’avèrent, au fil du temps et des études scientifiques, moins agressives ? Comment jauger le risque, décider d’opérer ou d’attendre et de surveiller ».
« Car, si tous les petits cancers ne deviennent pas gros, «les gros ont tous, par définition, commencé petits», rappelle le cancérologue Alain Toledano. Ne pas en faire assez ou risquer d’en faire trop ? », s’interroge la journaliste.
Claudine Proust explique que « la question revient pour les cancers de la prostate, voire du sein, et désormais pour la thyroïde avec cette étude inquiétante du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC-IARC) publiée cet été dans le New England Journal of Medicine ».
Elle indique que « les progrès de l’imagerie aidant, 560.000 personnes de 12 pays développés auraient fait l’objet ces 20 dernières années de surdiagnostic de cancer de la thyroïde. Dont 46.000 en France ! ».
« Des surdiagnostics synonymes de surtraitements pour 70 à 90% des patients touchés par un carcinome papillaire de petite taille : opération, traitement à l’iode radioactif puis hormone de synthèse à vie pour compenser l’absence de cette glande qui régule notre organisme. D’où une qualité de vie amoindrie, comme le souligne une étude de l’association française de patients Vivre sans thyroïde », poursuit la journaliste.
Claudine Proust observe ainsi qu’en France, « sur les 10.000 cancers de la thyroïde diagnostiqués chaque année, seuls 4.000 méritent d’être traités tout de suite, selon le Pr Martin Schlumberger, endocrinologue à Gustave-Roussy (Villejuif), qui tire la sonnette d’alarme. En mai dernier, des chercheurs internationaux ont proposé de sortir les carcinomes papillaires de la classification des cancers pour que patients et médecins abordent différemment la maladie. Et se convainquent que parfois une surveillance active de la maladie suffit ».
La journaliste se penche sur les causes de ce surdiagnostic, relevant tout d’abord : « Est-ce un effet pervers du dépistage ? ». Le Pr Schlumberger remarque que « tout a commencé dans les années 1980 avec les échographies à disposition. On s’est mis à en faire à tout bout de champ même, quand à la palpation, la thyroïde paraissait normale ».
Claudine Proust note que « le nombre de petits nodules ainsi repérés a augmenté. Or, seuls «environ 5% des nodules thyroïdiens sont des cancers», précise l’endocrinologue », ce dernier ajoutant qu’« on s’est mis à faire des cytoponctions pour préciser la nature d’anomalies de plus en plus petites. On est ainsi allés chercher des problèmes qui n’existaient pas ».
La journaliste s’interroge en outre : « Des intérêts financiers sont-ils en jeu ? Personne ne le dira ouvertement. Mais les surdiagnostics servent des intérêts dépassant ceux des patients, qui vivent, eux, terrifiés par l’annonce d’un diagnostic où le mot cancer résonne comme une épée de Damoclès. Ils sont « relativement peu enclins aujourd’hui » à s’entendre proposer l’option surveillance d’une grosseur jugée indolente et de bon pronostic à long terme par leur médecin ».
« Le traitement à vie par lévothyroxine, hormone de synthèse en comprimés quotidiens, destinée à remplacer celle que ne produira plus la thyroïde fait en revanche les affaires des laboratoires qui la produisent », remarque Claudine Proust.
Dans un entretien, le Dr Alain Toledano, oncologue à l’Hôpital américain de Neuilly et au centre Hartmann, déclare qu’« il faut être prudent lorsque l’on parle de surdiagnostic. Le cancer ne tue pas tout le temps mais on ne peut pas professer globalement que tel petit cancer n’est pas méchant et laisser les gens jouer à la roulette russe. Le problème est que cette maladie fait encore trop de morts ».
Le praticien évoque « le cancer de la prostate, que l’on dit, comme celui de la thyroïde, d’évolution lente et de bon pronostic, il tue près de 9 000 personnes par an. Après les débats sur le dépistage par dosage de PSA, dont on a dit qu’il conduisait à opérer trop d’hommes au cancer resté indolent, on risque cet effet pervers de voir arriver des patients relativement jeunes avec des cancers avancés ».
Le Dr Toledano souligne que « l’enjeu majeur, c’est de sélectionner. Pour les cancers, il faut pouvoir mesurer, une fois la tumeur diagnostiquée, son agressivité et son risque de rechute. Le risque personnel, pour tel patient, avec sa tumeur aux caractéristiques particulières. Ce qui permet de choisir, avec lui, le traitement le plus adapté. De ce point de vue, nous sommes en plein changement de paradigme ».
Il indique ainsi qu’« une vraie médecine personnalisée est en train de se dessiner. […] Nous manquons d’outils, il faut y travailler. Mais grâce à l’analyse génétique des tumeurs, on est en bonne voie pour affiner l’estimation du risque ».
Date de publication : 2 Septembre 2016
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Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 130