2ème partie – De la médecine du corps à la médecine de l’âme par le Dr Philippe Dransart
L’ARTICLE :
« De la médecine du corps à la médecine de l’âme », 2ème partie
par le Dr Philippe Dransart
Retrouvez la 1ère partie ici
… (Notez-le, j’ai dit « de l’âme », et non pas « par l’âme »… : qu’il me soit permis ici de rappeler cette évidence : si votre corps est malade, il vous faut consulter un médecin et suivre ses conseils… Ce que j’appelle « âme » est cette part de conscience qui peut nous éclairer, mais ce n’est pas elle qui va nous soigner ! Soyons clairs là-dessus ! Laissez vos médecins s’occuper de votre corps, c’est leur compétence et leur responsabilité.)
GINETTE, ce que mon corps me dit… suite
… Jusqu’au jour où son mari a pris sa retraite. Une retraite qu’il n’avait guère préparée, tant il était absorbé par son travail. « Je ne le reconnais plus » me disait Ginette, « il passe sa journée devant la télé, il n’a plus envie de sortir, je me demande s’il n’est pas un peu dépressif« .
Dépressif et… possessif aussi, car il se plaignait des absences de Ginette, surtout lors de ses réunions le soir. De nature accommodante, Ginette avait lâché du lest, pour finir par renoncer à ce poste de responsabilité qu’elle occupait. Malgré tout, cela semblait ne pas suffire à son mari, si bien qu’un jour, cerise sur le gâteau, alors qu’elle était partie depuis à peine une heure avec une amie faire du shopping en ville, il l’appelle sur son portable pour lui demander avec insistance : « T’es où, à quelle heure tu rentres ? » Gloups ! A l’époque, la géolocalisation n’existait pas encore, je vous laisse imaginer comment cela se serait passé aujourd’hui…
En évoquant la chronologie des événements, elle s’est souvenue que ses tous premiers symptômes étaient apparus dans la nuit qui avait suivi cet incident. C’est à ce moment-là – et à ce moment-là seulement, comme une sorte de flash –, qu’elle a pris conscience qu’elle étouffait dans tous les sens du terme. Ce besoin d’air, de ne pas être enfermée par son mari, cette sensation de collier qui la retenait comme par une laisse invisible, oui, bien sûr !… Ça s’est éclairé d’un coup. Bien souvent nous somatisons par manque de présence à ce que nous ressentons. Mais ce manque de présence n’est pas lié au fait d’être dans la lune, il résulte d’une sorte d’économie psychique face à une chose qui nous dérange. Nous n’avons pas envie d’y consacrer trop d’énergie, du coup nous avons tendance à le minimiser, à le laisser de côté, parfois même à faire comme si ça n’existait pas. C’est comme une sorte de « procrastination » envers une émotion dont nous n’avons pas envie de nous occuper tout de suite, au point même d’éviter d’en avoir conscience ! C’est comme si la nuit, dans un demi sommeil, vous entendiez une porte claquer en vous disant “ça doit être le chat, je ne vais pas me lever pour cela”, et vous vous rendormez aussitôt sans en garder le souvenir. Le terme « é-motion » est d’ailleurs évocateur : « é », comme en dehors, « motion » comme bouger : l’émotion me bouge, et selon sa nature, elle m’élève ou… elle me déloge de ma zone de confort. Quand elle me déloge, cela pose deux questions :
Qu’est-ce qui me dérange ?
En quoi ça me dérange ?
Regardons les choses de près. Notre réticence à être pleinement conscient de ce que nous ressentons repose sur trois peurs cachées :
La première peur, c’est celle affrontée par Ginette, à savoir de se retrouver devant un choix difficile : j’ai besoin d’air, est-ce que ça veut dire que je dois quitter mon mari ? Nous visons ensemble depuis 40 ans, avec des hauts et des bas certes, mais il y a quand même de la tendresse, il y a aussi tout ce que l’on a construit ensemble, la famille, etc. Et puis, « je suis une femme responsable, je ne veux pas me retrouver dans le rôle de la femme méchante qui quitte son mari parce qu’il est dépressif… » etc. Du coup, pour Ginette, il n’y avait pas seulement l’obstacle du Choix, il y avait aussi la question de l’Image qu’elle avait d’elle-même, de son rôle et de sa place dans sa famille en particulier et dans l’existence en général.
Cette brusque prise de conscience de Ginette l’avait laissée un peu désemparée… comme si elle se disait : Qu’est-ce que je dois faire ? Indépendamment de ses symptômes, je me suis alors demandé pourquoi elle avait somatisé cela au niveau de la thyroïde… Une idée m’est alors venue à l’esprit. Raisonnant à voix haute comme si je sollicitais sa propre intelligence sur cette question, je lui ai dit « Savez-vous à quoi sert la thyroïde ? Regardons cela ensemble : cette glande est située au cou et ce n’est peut-être pas un hasard. Elle est placée entre la tête et les tripes, entre la pensée et l’action, entre le dedans et le dehors. Elle règle le métabolisme, autrement dit sa fonction est de trouver le juste équilibre entre ce dedans et ce dehors. Les personnes qui souffrent d’hypothyroïdie sont ralenties, comme « en dedans » d’elles-mêmes, et elles sont d’ailleurs souvent du mal à s’exprimer… de « ex », en dehors… A l’inverse, dans l’hyperthyroïdie elles son hyper actives, toujours pressées, elles ont le sentiment ou la peur de manquer de temps. Le défi, c’est de trouver le juste équilibre entre le dehors et le dedans. C’est comme si ce dérèglement thyroïdien était venu pour vous dire :
« Tu dois trouver le juste équilibre »
Je n’avais pas de « solution » à lui proposer – la meilleure des solutions, c’est celle que chaque personne trouve en elle-même – mais je lui ai simplement proposé de réfléchir à cette image. Quand je l’ai revue, six semaines après, c’était une autre femme : elle était épanouie, et elle m’a dit « J’ai trouvé la manière de résoudre cette difficulté. Ça m’était difficile de parler à mon mari, parce qu’il a un fort caractère et il s’emporte facilement. Chaque fois que j’essaie de lui parler, soit il argumente, soit il se met en colère, et je n’arrive pas à lui dire ce que j’ai sur le coeur. Alors une nuit, je me suis levée, j’ai décidé de lui envoyer un mail. Ça m’a permis de lui dire tout ce que je ressentais sans être interrompue. Je lui ai exprimé mon « besoin d’air », je lui ai dit combien il était vital pour moi que je sorte de la maison, que j’ai des activités à l’extérieur, mais en même temps je lui ai dit combien je l’aimais, même si je ne le reconnaissais plus dans cet homme casanier qu’il était devenu. Surtout, je lui ai dit combien je me débattais dans une contradiction, partagée dans ce choix de rester près de lui ou de le quitter pour ne pas mourir étouffée. J’ai pu prendre le temps, poser les mots sans être contredite… et vous savez quoi ? J’ai hésité, bien sûr, car j’appréhendais sa réaction. Mais quand j’ai décidé de cliquer sur « envoyer le message », dans la minute qui a suivi j’ai senti ma gorge se dénouer !« .
Quand nous sommes pris dans une contradiction, la solution passe par une décision. Il y a deux endroits pour prendre une décision : la tête et le coeur. Quand nous décidons uniquement « dans la tête », c’est souvent compliqué de peser le pour et le contre, car tantôt nous penchons d’un côté, tantôt nous penchons de l’autre… J’ai ainsi connu une personne âgée à qui sa fille avait proposé de déménager pour se rapprocher d’elle. Il y avait bien sûr le pour et le contre, et cette femme a longtemps hésité. Quand elle a pris la décision d’écouter sa fille, elle a acté la décision de déménager… pour le regretter sitôt après ! En fait, si elle avait écouté son coeur, elle se serait rendue compte que ce choix était pratique à bien des égards mais… ce n’était pas son choix à elle, ce n’était pas son désir ! Cela ne veut pas forcément dire que le coeur a toujours raison lorsque, par exemple, il se laisse aveugler par un sentiment amoureux qui le fait s’attacher à une « image » qu’il se fait de l’autre, une image idéale qui ne correspond pas forcément à la réalité, hélas… mais hormis ces projections affectives qui peuvent nous induire en erreur, le choix du coeur est notre guide le plus sûr.
Mais revenons à Ginette. Quand je lui ai demandé comment son mari avait réagi, elle m’a répondu : « Ça l’a bouleversé. Il ne s’était pas rendu compte à quel point cela me pesait, à quel point il était dépressif… Il a réalisé qu’il pouvait me perdre, et cela a été un électrochoc. En même temps, mes mots de tendresse l’ont apaisé et cela l’a fait sortir de son marasme. Depuis, il sort plus souvent, il a même récemment fait une balade en montagne avec un ami, et moi j’ai repris ma place dans mon association. » Bref, ils avaient tous les deux retrouvé leur équilibre et leur épanouissement personnel… mais il a fallu pour cela que son mari réalise qu’il n’avait pas le pouvoir d’asservir l’amour de Ginette, mais que tout en étant libre de ses choix, sa femme avait choisi de l’aimer.
Comme le dit le poète, en quelques vers sans prétention si ce n’est par l’idée qu’ils suggèrent,
« L’Amour est un Soleil
Qui brille dans le Ciel,
Si haut que tes bras
Ne le possèdent pas
Mais Il éclaire tes pas… »
L’histoire de Ginette évoque enfin deux fils conducteurs qui pourraient bien nous être utiles en de nombreuses situations :
Le premier, c’est que la solution passe par un élan d’amour. Dans son mail, Ginette a ouvert son coeur, elle lui a aussi redit la tendresse qu’elle éprouvait pour lui… mais cet amour l’avait aussi amenée à s’aimer et se respecter elle-même.
Cela nous amène au second fil conducteur : « Ce qui n’est pas juste pour soi ne peut pas l’être pour l’autre« . Par sens du devoir, vous pouvez bien sûr être amenés à faire quelques sacrifices. Mais l’important, c’est que vous vous sentiez en accord avec vous-même. Si vous ne vous sentez pas en accord, cela ne sera bon ni pour vous, ni pour l’autre. Par exemple, je vois tous les jours des femmes qui en font trop pour leur mère âgée, au point de sacrifier leur vie personnelle, et même parfois familiale. Elles sentent que cela ne va pas, et elles ont raison ! Plus elles se sacrifient, plus leur mère se referme sur elles, comme si elles n’étaient plus que le seul point de contact avec l’extérieur. Une femme un jour m’a dit qu’en allant voir sa mère à l’Ehpad, elle l’avait trouvée toute seule dans sa chambre alors que dans la salle commune les autres femmes de son âge discutaient ou jouaient aux cartes. Alors elle a demandé à sa mère « Mais pourquoi tu restes toute seule, pourquoi tu ne vas pas jouer avec elles ?« . Et sa mère avec une petite voix douce lui a répondu : « Ma fille, je t’attendais« …
Le sacrifice, oui, à condition que notre âme soit en accord avec cela. Sinon, ce n’est pas la peine, ça sonne faux… Saint Paul disait : « Tout ce que vous faites, faites-le par amour ou alors ne le faites pas. » En se sacrifiant à contrecoeur pour son mari, Ginette l’entretenait malgré elle dans une sorte de dépendance plus ou moins aliénante… et quand elle a décidé d’être juste envers elle-même, cela a permis à son mari de se prendre en charge et de sortir de cette sorte de dépression molle dans laquelle ses journées s’écoulaient sans but précis.
Dans cette histoire, regardons maintenant le point de vue de l’âme : tout semble s’être passé comme si l’âme de Ginette, à travers ses symptômes et sa thyroïde, cherchait à lui dire: « Tu ne peux pas te sacrifier comme cela pour ton mari, ce n’est pas juste ni pour lui, ni pour toi. Ecoutes ce que tu ressens, et essaies de trouver un juste équilibre ». Un moine tibétain au siècle dernier disait que : « La maladie résulte d’une friction créée par l’âme dans la substance de ses gaines pour attirer le regard de la personnalité sur ce point« . « Toc toc toc, s’il te plaît, écoute-moi, regarde-moi. »
Les psychanalystes diront que c’est l’inconscient qui cherche à nous parler, mais quel que soit le mot que nous employons, retenez cette idée : Quelque chose nous anime, au plus profond de notre être. Mais quand cette chose a besoin de grandir et de s’épanouir, elle finit par se sentir trop à l’étroit dans ses vêtements, et ça craque au niveau des coutures… Ce vêtement, c’est notre personnalité, c’est cette image que nous avons de nous et que nous « habitons », de même que nous habitons l’apparence que nous prenons dans notre vie quotidienne et dans nos rapports avec les autres.
Quand notre personnalité – persona c’est le masque, c’est cette apparence à laquelle nous avons fini par nous identifier – quand cette personnalité ressent cet élan intérieur, elle est mise au défi de s’adapter, voire parfois de se transformer pour accéder à une autre dimension de l’être. Certaines maladies se limitent à un réajustement, une adaptation, elles nous invitent à « agrandir » l’image que nous avons de nous. Mais il arrive parfois que le défi soit d’un autre ordre, à l’image de celui auquel est confronté un petit ver de terre quand l’impulsion de la vie qui l’anime le pousse à accomplir son destin et à se transformer en papillon. Il vivait dans une terre uniformément brune, il découvre le ciel, sa lumière et ses multiples couleurs. Mais pour cela, il doit quitter son vêtement et affronter l’inconnu, ce qui n’est pas une mince affaire ! Sans la poussée de Vie, la peur l’emporterait…
Sans aller si loin, notre personnalité résiste à cet élan intérieur, et ce parce qu’elle est confrontée à trois peurs, comme nous venons de l’évoquer :
Peur d’avoir à choisir : nous sommes alors dans une contradiction, dans un désaccord avec nous-mêmes. C’est la peur à laquelle Ginette était confrontée.
Peur que notre vêtement se déchire, parce que vêtement, nous y sommes attachés depuis si longtemps qu’il est devenu comme une seconde nature, une seconde peau. Il nous permet d’avoir et de maintenir une certaine image de nous, une image à laquelle nous avons fini par nous identifier.
Entre ces peurs, il y a aussi celle de retrouver une douleur du passé et d’avoir à la revivre. Cela se produit quand la situation présente réveille les fantômes du passé, c’est comme une sorte de résonance. Du coup, nous ne percevons plus le présent tel qu’il est, nous le percevons à travers nos cicatrices, à travers nos vieux fantômes. Je me souviens ici d’une patiente qui s’étonnait du dérapage émotionnel de son amie à propos d’une chose qui lui semblait sans importance. Elle me disait : « Pourtant, cette femme, je la connais, elle est intelligente, elle a les pieds sur terre, je ne comprends pas sa réaction« . Je lui ai dit, « Nous avons tous un point aveugle dans l’oeil, un point où ça nous échappe, et du coup les vieux fantômes s’en donnent à coeur joie ».
Retenez bien ces trois peurs :
C comme choisir, ou comme vivre une contradiction,
R comme résonance, ou réveil d’une douleur semblable du passé
I comme identification, que ce soit l’attachement que nous avons à une certaine image de nous, ou l’attachement à une idée, une raison d’être…
C,R,I c’est comme un cri, le cri qui nous échappe quand nous avons peur ou que nous avons mal. Ce cri, nous ne pouvons pas l’empêcher, ça nous échappe, c’est plus fort que nous… Notre “personnalité” – entendez par là cette “persona”, ce masque qui nous représente, cette image de nous à laquelle nous nous sommes identifiés, cette personnalité sursaute comme nous pourrions le faire lorsqu’en pleine nuit un visiteur inattendu frappe à la porte.
- Toc toc toc…
- Qui est là ?
- Je suis ton âme…
- Mon âme ? Qu’ai-je fait de mal ?
- S’il te plaît, ouvres-moi la porte
- Non, non, je n’ai rien fait de mal, laisses-moi tranquille…
Si l’âme insiste, la personnalité va alors chercher à barricader la porte avec les objets de la pièce qu’elle habite, une table, une chaise, un estomac, un foie, bref, nous nous barricadons avec ce que nous avons sous la main et qui semble le mieux convenir… Au-delà de l’aspect imagé de ce dialogue fictif, il nous permet d’entrevoir la nature de la peur qui amène la personnalité à résister au message de l’âme. C’est quelque chose qui mêle tout à la fois la peur d’être agressé, délogé, trucidé… et surtout d’être jugé. Avons-nous fait quelque chose de mal ? Cette peur, c’est l’histoire de l’ombre qui a peur de la lumière… Ceci pour dire que pour apaiser ces résistances de notre personnalité, la première chose à faire est de mettre en veilleuse notre petit “juge intérieur”, et de nous mettre à l’écoute de ce que notre âme cherche à nous dire !
Ce qu’elle cherche à nous dire ? Ces trois peurs sont comme trois portes qui ne demandent qu’à être ouvertes ! Elles sont le reflet de trois questions que notre âme se pose à elle-même :
C : Avec quoi suis-je en désaccord, ai-je un choix difficile à faire ?
R : Ce qui m’a blessé dans cette situation, est-ce réellement que je j’ai vécu, là, maintenant, ou l’ai-je perçu de manière déformée à travers les fantômes du passé ?
I : Enfin, en quoi l’image que j’ai de moi s’est-elle sentie touchée par la situation ?
La 3ème partie de l’article du Dr Dransart dans la prochaine lettre !
Retrouvez tous les mois les causeries du Dr Philippe Dransart : https://philippe-dransart.com/causeries/
Article paru dans la Lettre Médecine du Sens n° 358
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